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Les intérêts engagés dans le débat seraient ceux des salines, des pêcheries, du port du Vivier et de l’exploitation de la tangue.

L’exhaussement du sol des grèves ne détruirait ni les salines ignigènes de l’arrondissement d'Avranches, ni les pêcheries dormantes des cantons de Dol et de Cancale ; il ne ferait que les déplacer. Les salines n’ont qu’un matériel d’une très faible importance, facile à transporter, et que les laisses de haute mer soient un peu plus près ou un peu plus loin, il ne s’y trouvera pas moins de sable imprégné de sel à lessiver. Le dommage éprouvé ne serait pas plus grand pour les pêcheries. Celles-ci consistent en clayonnages établis en zigzag à 3 ou 4 kilomètres du rivage : le poisson monté avec le flot reste engagé, quand il redescend, dans les angles rentrans des clayonnages, et on l’y prend à la main. La quantité de poisson que peut fournir la baie ne serait point affectée par le progrès des atterrissemens, et la pêche à pied sec, moins digne d’être encouragée que celle qui se fait au large, ne serait pas perdue pour être obligée de descendre un peu.

Le petit échouage du Vivier doit son existence au chenal qu’entretiennent au travers des grèves les eaux du Bief-Guyoul, principal émissaire des marais de Dol ; il la perdrait par le percement de l’isthme de Châteauneuf. À sec pendant les marées de quartier, d’un abord toujours difficile et souvent dangereux dans les marées de vive eau, il n’admet que des bâtimens du plus faible tonnage ; le produit des douanes y atteint rarement 300 francs ; le mouvement de la navigation y est d’environ 1,000 tonneaux par an, et cet échouage n’est alimenté que par le marché de Dol ; or, le percement de l’isthme de Châteauneuf transporterait sous les murs mêmes de Dol un port excellent. Le Vivier ne perdrait d’ailleurs son atterrage que pour devenir tête de navigation par la conversion du Bief-Guyoul en affluent du canal de Châteauneuf, et ce changement ne lui serait point nuisible.

Les avantages agricoles fondés dans le bassin territorial de la baie du Mont-Saint-Michel sur l’emploi de la tangue sont d’une importance telle que, s’ils devaient être compromis par l’exécution des projets de Vauban, il faudrait renoncer à celle-ci sans hésitation. Heureusement, la transformation des grèves n’est inconciliable qu’avec le maintien du mode actuel d’extraction de la tangue, et, loin de restreindre l’extraction même, elle la rendrait plus économique et plus étendue. La diffusion de cette richesse est surtout une affaire de transport ; elle gagnerait à la substitution d’une bonne navigation à un roulage pénible sur la plus grande partie des distances à parcourir. Sous le nouveau régime, les entrepôts, qui sont aujourd’hui sur la laisse de haute mer remonteraient dans l’intérieur des terres ; les canaux porteraient de tous côtés la tangue à la rencontre des cultivateurs, et l’aire qui en est alimentée par la baie s’élargirait en raison du prolongement de