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de Joggeli, ce tableau d’Uli et de Bréneli attirés si discrètement et si délicatement l’un vers l’autre est rempli d’une grace qui parfume tout le livre.

Uli cependant a encore plus d’une épreuve à traverser, plus d’un enseignement à recevoir. Il est toujours trop pressé, le brave Uli, d’obtenir la récompense qu’il a méritée. C’est là un excellent trait et d’une vérité singulière. On quitte la route du vice, on revient à la pratique du devoir, et, comme si le devoir n’était pas son propre but à lui-même, comme si ce n’était pas déjà une récompense assez précieuse que la joie de la conscience, on aspire à une récompense matérielle, on est impatient d’en jouir. Cette impatience pourrait bien être funeste à l’imprudent Uli. Déjà, chez son premier maître, attiré par l’espoir d’une dot et le désir d’être fermier, il avait failli être dupe ; la tentation va être bien plus forte, et il n’y échappera que par miracle. La fille de Joggeli, Élise, cherche un mari depuis long-temps. Quel fermier voudrait d’une telle femme dans toutes les contrées d’alentour ? Passe encore la laideur, mais elle est paresseuse, désagréable, hautaine ; elle a des prétentions inouies, elle veut faire la dame, grasseyer le français, s’habiller à la dernière mode, et Dieu sait comme tout cela lui réussit ! C’est une vraie caricature que cette sotte fille. On sent dans cet excellent tableau l’honnête vengeance du pasteur ; on voit avec quelle joie il livre à un ridicule impitoyable ces prétentions qui amènent la fainéantise et encouragent le dédain des vieilles mœurs. L’auteur s’est abandonné ici à toute sa verve ; le portrait d’Élise est dessiné avec une gaieté humoristique et une vérité parfaite. Comment se fait-il que le brave Uli se laisse prendre aux cajoleries de cette laide créature ? Personne mieux que lui n’apprécie le travail et les vertus honnêtes. Bréneli, il le sent bien au fond de son cœur, serait pour lui l’idéal d’une femme aimée, d’une femme bonne, gracieuse, alerte, souriant pour ainsi dire aux plus rudes labeurs et répandant une franche gaieté autour d’elle ; mais épouser la fille du maître, être sûr de devenir maître un jour, hériter de ce beau domaine qu’il cultive avec tant de soin, ces brillantes espérances lui ont tourné la tête. Bréneli a tout vu, elle a tout deviné ; elle sait les prévenances effrontées de cette laide Élise et la faiblesse d’Uli ; elle a l’air pourtant de n’en rien savoir ; elle en souffre, mais elle se tait. Elle avait cru à l’affection d’Uli ; son rêve se dissipe, son bonheur s’évanouit en fumée ; elle renferme sa douleur en elle-même, et rien n’altérera la dignité instinctive de son ame. Heureusement pour Uli, Élise décide sa mère à aller passer quelques jours aux bains de Gurnigel, dans une vallée voisine. C’est une occasion pour elle d’étaler ses robes et de déployer ses belles manières. La caricature devient ici plus amusante encore ; les niaises coquetteries d’Élise, les complimens ironiques des messieurs de la ville et ses grotesques réponses, tout cela compose le plus piquant tableau de genre.