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au maître l’occasion de compléter son œuvre. À peine entré dans la voie du bien, Uli est impatient de recevoir sa récompense ; il veut se marier, il aspire à devenir maître, et telle est sa candeur, qu’il serait la dupe de la première fille venue, si le bon guide n’était là, attentif à tout ce qui se passe et dévoué à son cher Uli. Déjà Uli s’est acquis une petite somme d’argent ; il mérite d’en gagner davantage, car il est actif, intelligent, dévoué, et dans toutes les vallées d’alentour on le cite comme un modèle. Jamais la maison du maître n’a été si bien tenue, jamais les chevaux n’ont été si propres, les vaches si bien soignées, les blés si abondans et si beaux. Jean voudrait augmenter le salaire d’Uli, mais il l’a déjà fait autant que le lui permet sa fortune ; quel parti prendre ? Il trouvera une condition meilleure pour Uli ; il le placera comme premier garçon de ferme dans le domaine de son cousin Joggeli. Rien de plus touchant que les adieux d’Uli à son maître, à la famille, à la chère maison où il a goûté pour la première fois les franches et saines jouissances du travail, les ineffables douceurs d’une conscience satisfaite.

La seconde moitié du roman, la plus importante et la plus belle, nous montre Uli chez son nouveau maître. Celui-là ne ressemble guère au premier ; paresseux et plein d’orgueil, il ne surveille rien, et veut cependant avoir l’air de diriger tout. Uli arrive à temps ; que de changemens sont nécessaires dans ce domaine si mal conduit ! Dès le premier jour, Uli a vu tout ce qu’il y avait à réformer ; il prend au sérieux sa tâche de premier garçon de ferme, il oblige garçons et servantes à se lever plus matin, il veut que l’étable soit plus propre et les bêtes mieux tenues ; il parcourt le domaine et trouve à chaque pas des améliorations à faire ou des abus à détruire : c’est toute une révolution. Ne vous étonnez pas qu’Uli ait de terribles luttes à soutenir contre ce peuple de valets fainéans. Uli est brave autant qu’honnête ; il a des poings vigoureux au service d’une conscience droite ; il saura bien maintenir son autorité malgré l’incurie et la mauvaise humeur de Joggeli. Celui-ci est tout humilié, en effet, de la supériorité de son serviteur. « Est-ce lui qui commande ? ne suis-je rien chez moi ? » s’écrie-t-il sans cesse, et, s’il n’ose donner tort à Uli, il soutient pourtant en secret les valets révoltés. Uli ne leur donne pas seulement l’exemple d’une vie laborieuse et dévouée aux intérêts du maître ; il est pieux et respecte les lois du Seigneur. Il se souvient du temps où il allait au cabaret chaque dimanche : qu’il était malheureux alors ! comme tout lui était à charge ! comme le monde entier était triste ! et quelle honte il éprouve, quand il pense à cette période si mal employée de sa jeunesse ! Maintenant il ne passerait pas un dimanche sans aller entendre les instructions du pasteur ; revenu à la ferme, il lit la Bible, il pense à tous les bienfaits dont la bonté divine l’a comblé, il l’en remercie