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de tout purifier à l’aide de cette lumière divine, il n’est pas de sujet qu’il puisse redouter ; il permettra même à l’inspiration satirique de prendre joyeusement ses ébats, et lui laissera maintes fois la bride sur le cou. Il aurait bien des remarques à faire sur chacun de ces récits ; mais dans sa fertilité infatigable cette rare imagination a déjà peuplé la Suisse d’une foule de créations vivantes : j’aime mieux détacher entre toutes celles qui l’ont rendu populaire. Si l’auteur du Miroir des Paysans a toujours été en progrès sur lui-même, il y a eu pourtant une heure où toutes ces qualités fraîches et vigoureuses, où toutes ces pures inspirations chrétiennes se sont rassemblées sur une figure choisie. Ces différens types qu’il vient de retracer avec vigueur, l’ivrogne Dursli, Jacques le compagnon, le maître d’école de village, sont assurément des physionomies marquées du sceau de la réalité, des êtres dont le cœur bat comme le nôtre, et voilà bien le signe auquel on reconnaît les maîtres ; il y a pourtant tels reproches que l’auteur repousserait difficilement : la réalité est souvent trop crue, certaines scènes sont trop exactes, certains détails trop minutieusement accumulés. Ces reproches, il saura les éviter bientôt, ou du moins il introduira de plus en plus au milieu de ses fougueuses ébauches, au milieu de ces peintures trop luxuriantes, cette lumière sainte qui les transforme : naïf contraste que n’a pas cherché l’auteur, et d’où résulte, nous le verrons tout à l’heure, la dramatique originalité de ses écrits. Allons donc tout droit aux œuvres qui ont consacré son nom et l’ont porté au-delà des frontières de la Suisse. L’enfant le mieux venu de la nombreuse famille de M. Gotthelf, l’enfant préféré qui a gagné sans réserve le cœur du peuple suisse, et qui est en même temps la plus vraie, la plus générale, la plus humaine des créations du peintre, c’est Uli le valet de ferme.

Uli est valet de ferme : pauvre, sans parens et sans guides, il remplit sa tâche, parce qu’il faut gagner sa vie ; mais aucune bonne pensée ne le soutient, aucune ambition légitime ne lui fait entrevoir des destinées meilleures. Une journée suit l’autre sans qu’il prenne intérêt à son devoir, sans que sa conscience s’éveille et qu’une lueur morale l’éclaircisse. À quoi peut-il s’attacher ? Sera-t-il jamais autre chose qu’un misérable valet, condamné toute sa vie à travailler pour un maître ? Ainsi en proie à ce morne désespoir, il demandera aux joies des sens des consolations brutales. Le peu qu’il gagne, il ira le dépenser au cabaret, ou bien il s’enivrera aux coupes empoisonnées de la débauche. Tel est le malheureux Uli, violent, libertin, ennuyé, à charge aux autres et à lui-même, plus malheureux mille fois par les désordres de sa conduite que par la condition où le sort l’a placé. Aussi loin que peut remonter sa mémoire, Uli ne se souviendrait pas d’avoir jamais pensé à Dieu. Au milieu de cette stupide ignorance ; voyez comme il est triste ! Les plaisirs grossiers ne réussissent pas à l’étourdir complètement ; il