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deux ans aux archives de la chefferie du génie de Saint-Malo, de la préfecture d’Ille-et-Vilaine, du comité des fortifications. Ce précieux travail avait été remis aux états de Bretagne : il est présumable qu’il a été perdu dans l’incendie qui consuma, en 1726, le tiers de la ville de Rennes et le palais même des états ; mais, à défaut du texte, nous avions la pensée, et cela suffit : elle est, comme le secret de Christophe Colomb, si simple et si naturelle, que, quand on la sait, il semble qu’on l’eût trouvée soi-même ; si sûre et si puissante, qu’elle ne laisse pas dans l’esprit de place au doute sur le succès. Du reste, depuis cent cinquante ans, il ne s’est peut-être pas fait sur les marais de Dol un mémoire d’ingénieur où ne soit rappelé le projet de Vauban ; il n’y est pas survenu un désastre qu’on n’ait remarqué que l’exécution de ses desseins l’eût prévenu, et ses plans ne sont pas nécessaires pour expliquer ce qui ressort de la seule inspection du terrain.

La digue d’enceinte des marais de Dol n’est aujourd’hui nulle part à moins de 1 mètre 50 au-dessus du niveau des hautes mers des équinoxes ; les terres en culture adjacentes à la digue sont elles-mêmes presque partout au-dessus de la portée de la mer, mais de 40 à 50 centimètres seulement. Sur la limite intérieure des marais, c’est-à-dire au pied de cette terrasse granitique et schisteuse contre laquelle s’appuient les alluvions, on voit celles-ci s’incliner des deux extrémités du croissant vers le milieu de sa convexité, et le point des marais le plus éloigné de la mer est en même temps le plus bas : c’est le fond de la mare de Saint-Coulban ; il est de 4 mètres 49 au-dessous du niveau des hautes mers de la baie, par conséquent de 6 mètres en contrebas du couronnement des digues. La mare touche presque l’isthme granitique de Châteauneuf, de l’autre côté de laquelle sont des marais salans alimentés par la Rance, et dont le niveau est un peu inférieur à celui de la mare. L’isthme n’a pas 200 mètres de largeur, et sa hauteur est de 9 mètres au-dessus des marais. On voit par cette disposition du terrain que, si les digues qui protègent les marais de Dol sur la baie du Mont-Saint-Michel et ceux de Châteauneuf sur la baie de la Rance étaient renversées, la haute mer viendrait battre les deux flancs de l’isthme, et qu’à basse mer les eaux restées sur les marais de Dol domineraient de près de 13 mètres celles de la Rance.

Vauban voulait percer l’isthme, y placer une écluse, des portes de flot, et ouvrir, en remontant vers l’est la ligne de plus bas niveau des marais, un canal de desséchement et de navigation qui, passant par Lillemer, par Dol, par Saint-Broladre, aurait recueilli d’abord toutes les eaux des marais, puis celles du Couesnon, de la Guintre, de la Sélune, de la Sée. Ce grand émissaire recevrait les eaux d’un bassin hydraulique de 350,000 hectares, et la pente nécessaire à l’écoulement serait facile à ménager, puisque l’amplitude des marées dans la Rance,