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officiers accourus à notre rencontre repoussèrent la foule en nous souhaitant en français la bienvenue ; c’étaient des compatriotes, d’anciens militaires français que le licenciement de 1815 avait forcés de tenter la fortune en Égypte. Tandis que le commandant se rendait chez le pacha, nous leur demandâmes de nous montrer le camp, que nous n’avions pas eu le loisir de visiter dans nos excursions précédentes. Ce camp, composé de tentes de toutes couleurs et de toutes dimensions, de huttes de branchages, de parcs, de clôtures, de chenils en terre et en pierres sèches, s’étendait des murailles de la forteresse aux bastions de Navarin. Des milliers d’hommes et d’animaux se vautraient au soleil, allaient et venaient parmi les caissons d’artillerie, les canons, les roues, les attelages, les faisceaux d’armes, mêlés dans un désordre inextricable. Les rues, les séparations des corps de troupes à peine indiquées, aboutissaient au grand chemin de Modon à Neo-Castro, qui partageait l’enceinte par le milieu. De distance en distance se dressait une tente à boule de cuivre, surmontée de queues de chevaux et de bannières. La confusion était extrême autour de ces demeures des chefs elle long de la route, seule voie de communication entre la campagne et le port. Là débordaient la vie et le mouvement, tandis que les bas côtés restaient plongés dans le silence et l’inaction. Des soldats de toute taille et en haillons faisaient l’exercice avec des fusils dépareillés ; des scribes paraphaient des hiéroglyphes sur des feuilles de parchemins scellées de cire rouge ; des payeurs soldaient sur des tables ; des marchands dépliaient leurs ballots ou chargeaient leurs montures ; des barbiers rasaient des têtes sur leurs genoux ; un santon égrenait son chapelet devant un café ; des derviches tourneurs pirouettaient, des derviches hurleurs écumaient, jusqu’à ce qu’ils tombassent épuisés. C’étaient des cavaliers aux vestes éclatantes fumant à l’ombre, leurs chevaux harnachés tenus par des enfans ; un Albanais raclant une guitare à l’entrée d’un corps-de-garde ; des galériens, une chaîne au cou et à la cheville, vidant les écuries ; puis des bataillons qui paradaient tambour en tête, essayant, sans y réussir, de s’aligner en marquant le pas des fantassins d’Europe ; des cavaliers qui sortaient pour une expédition, d’autres qui rentraient du pillage en poussant des clameurs et brandissant les sabres. Ici un marché d’esclaves, là une tuerie ; des bouchers abattaient des taureaux, égorgeaient des moutons ; des chairs écorchées, des peaux ruisselantes pendaient aux crocs ; des hures, des mâchoires, des têtes armées de cornes garnissaient l’étal ; des bandes de chiens voraces, au poil fauve, aux yeux féroces, se ruaient sous les tréteaux, léchaient la mare de sang et se disputaient les os de rebut. Près de ces cloaques, et sans aucune transition ménagée pour le goût, l’odorat et la vue, apparaissaient d’élégans pavillons avec des tapis, des châles, des étoffes de soie flottant aux fenêtres ; de frais visages d’enfans,