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n’avoir jamais entendu parler de pirates, ni de Démétrius, ni de Vasiliky. Leur île n’offrait aucune ressource à des bandits. Ils n’en pouvaient dire autant des terres d’alentour, peuplées de coquins, à les en croire, et c’est là qu’ils nous engagèrent à chercher. Durant deux mois, terme assigné à notre croisière, la frégate courut ainsi dans les îles et visita successivement Nycères et ses cavernes ; Pathmos, célèbre par la grotte de l’extase de saint Jean et par un monastère fondé par Alexis Comnène ; Amorgos, dont les rochers sont remplis de colombes ; Santorin, terre volcanique qui produit un vin renommé ; Paros et ses carrières de marbre, d’où sortirent les chefs-d’œuvre de la statuaire grecque ; Delos, berceau d’Apollon ; Myconi, Tyne, Andros, Zea, repaires de barques suspectes. Nulle part, les consuls, les autorités, les notables ne purent nous donner de renseignemens ; chacun, après avoir fait l’éloge de son pays, de sa vieille réputation d’honnêteté, nous renvoyait à l’île voisine, accusée de brigandages. Nous mettions à la voile pour l’endroit indiqué : là, même étonnement de notre visite, tandis que la côte vis-à-vis, l’îlot à côté, étaient si mal famés ! — Mais nous en venons, disait le commandant, et ce sont les indications des habitans qui nous amènent ici. — Les misérables ! criaient les papas, les caloyers, les négocians, les femmes et les serviteurs ; nous les reconnaissons bien là !

Toutes nos courses avaient été inutiles ; l’ennui, le désappointement, engendrèrent peu à peu le doute et les railleries sur cette histoire, et à la fin de la campagne Vasiliky était oubliée. Alors la frégate se dirigea vers l’Attique, afin de pouvoir mouiller à jour fixe dans la baie de Salamine, que l’amiral avait marquée comme un point de ralliement où nous trouverions de nouveaux ordres.

Tout a été dit sur Athènes ; je ne raconterai donc point une excursion de quelques jours dans l’Attique, qui n’avait rien à démêler avec le but de notre campagne. Ce qui surtout me frappa sur cette terre de Grèce que je foulais pour la première fois avec un religieux enthousiasme, c’était le contraste éloquent de la mort et de la vie, ce mélange de pensées pénibles et d’aspirations poétiques qui se contrarient sans cesse sous un ciel admirable et devant les monumens d’un art immortel. Il en naît une tristesse sans amertume, dernière émanation de cette terre païenne qui se fiait à des dieux indulgens. Le cœur ne puise à cette source poétique qu’une soif plus ardente des voluptés de l’esprit ; les tombeaux d’Aspasie et d’Alcibiade n’excitent qu’à user plus vite des jours accordés, et l’on assiste à ce spectacle comme au festin antique, où les convives, pour ne pas oublier que la rapidité de la vie et l’incertitude du lendemain avertissent l’homme de vider sa coupe, couronnaient un crâne de fleurs et cachaient sous les pampres l’urne funéraire.

Le commandant trouva au Pirée l’ordre de rejoindre immédiatement la croisière établie à Navarin ; nous appareillâmes aussitôt, et,