Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/445

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous fit enfin doubler le cap Halée, si redouté des anciens, et nous atteignîmes bientôt Vourlah, l’antique Clazomènes, où nous trouvâmes l’amiral installé dans un des meilleurs mouillages de l’Asie Mineure.

Les touristes que le bateau à vapeur emporte d’Athènes vers Smyrne traversent la baie de Vourlah sans s’arrêter, et ne se doutent pas des richesses enfouies dans les montagnes qui la dominent. À Vourlah, ainsi que sur beaucoup d’autres points négligés de l’Ionie, se trouvent réunis à souhait ces étonnans contrastes de grandeurs évanouies et de magnificences naturelles, de ruines et de noms sonores qui font l’attrait particulier des pays orientaux. Malheureusement nous ne pouvions admirer qu’à la hâte les splendides paysages de Vourlah. L’amiral n’avait accordé à la frégate que trois jours de repos, et, ces trois jours écoulés, il fallut nous mettre en route pour Naxos, où les intérêts de religieux français établis dans cette île appelaient notre pavillon. À Naxos commençait, vraiment notre campagne, et c’est là aussi que m’attendait une rencontre qui devait répandre une sorte de charme romanesque sur tous les incidens de mon premier voyage en Grèce.


I – NAXOS

L’Archipel grec est partagé en deux groupes : les Sporades, coteaux de verdure arrachés tout en fleurs des flancs de l’Ionie lors des ébranlemens qui précédèrent la formation du globe, et les Cyclades, stériles rochers détachés de l’aride continent d’Europe. Parmi ces dernières, deux îles ravissantes, Candie et Naxos, étalent seules à profusion le luxe d’une végétation inconnue aux rivages voisins. Seules fertiles entre des blocs nus, couvertes de lentisques, de fraisiers, de bois d’orangers et de citronniers, elles semblent deux Sporades capricieuses égarées loin de leurs sœurs d’Asie, et ne sachant plus retrouver leur route.

Naxos surtout, la Dyonisia chérie de Bacchus, Naxos surnommée la ligne, n’a rien à envier à ses rivales d’Orient. Sous nos tristes climats, sur nos côtes grisâtres que bat sans relâche l’Océan brumeux, dont les marées déposent, en se retirant, des vases infectes, on ne saurait concevoir l’enchantement de ces lieux privilégiés, où la mer, dans son repos comme dans ses fureurs, ne souille jamais ses bords, où la montagne, le rocher, la pierre la plus sèche, se colorent de mille teintes et palpitent sous la lumière. Là, le regard se perd dans des abîmes d’azur que l’ame voudrait franchir ; le jour, d’une pureté inaltérable et rafraîchi par les brises marines ; n’a pas les chaleurs écrasantes de nos heures d’été ; la nuit n’est qu’un long crépuscule que n’épouvanter jamais ni bruits lugubres, ni ces pâles visions qui ont pris naissant dans l’horreur de nos ténèbres du Nord. Le calme, la beauté, la grace