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prière pour soutenir par là ce que vous ferez. Je seray vostre sainte en cette entreprise, et ce sera moy qui demanderay la bénédiction de Dieu sur vos discours. Je serois ravie d’escrire[1], mais je n’oserois, car si le courrier estoit pris, M. de Longueville ne me le pardonneroit jamais. Mais faites mille complimens pour moy, sans me nommer, sy ce n’est du nom de son martyr ; car enfin je le suis, le prince de Conty ayant dit à M. le cardinal que sy on me laisse retourner en Normandie, je m’y mettray à la teste des désordres que monsieur mon frère y soulevera. Enfin M. de Chenaille[2] sçait mes affaires comme moymesme, et comme le bon homme n’est pas mon confident, je voy bien qu’il en est instruit par une dame qui a part au secret du ministère par son galant nouveau, je veux dire par nostre assassinateur[3]. Vrayment je suis estonnée de toutes ces friponneries-là ; c’est le vray nom qu’on peut donner à un tel procédé. Vous pouvez m’escrire par la voie de la poste, et mettre au dessus de vos lettres : A monsieur Genin, à Moulins, et dedans A madame de Longueville. Mais il faut un chiffre ; j’en demande un[4]. Vous vous en servirez affin qu’on se parle plus librement, et surtout des pauvres absents ; c’est toute ma joie que de sçavoir un peu de leurs nouvelles, et de souffrir pour eux au moins, puisque je ne les puis servir. Faites ma cour auprès d’eux, je vous prie, mais ne me nommez pas dans toutes les lettres que par des noms de chiffres, si vous en savez. Mais sy le porteur des lettres est tel que vous dites, vous my pouvez parler de moy et de mes sentiments nouveaux ; qu’il n’en parle qu’à celuy qui les cause[5]. J’en ai pour vous de fort tendres, n’en doutez point. Mandez-moy comment on vous peut escrire. »

Mme de Longueville resta dix mois à Moulins, au couvent des filles de Sainte-Marie. Peu à peu cette sainte demeure, la vie qu’on y menait, l’exemple et les conversations de sa tante, les lettres de ses bonnes amies les Carmélites de Paris, sans doute aussi les mauvaises nouvelles qui lui arrivaient de tous côtés, produisirent une impression de plus en plus vive sur son esprit, et le 2 août 1654, au milieu d’une lecture pieuse, elle reçut le coup décisif de la grace, et fut comme éclairée

  1. Évidemment à Condé, qui avait les armes à la main contre la cour, tandis que M. de Longueville avait fait la paix et voulait que sa femme se tînt tranquille et ne se compromit plus.
  2. Chenailles était président des trésoriers de France de Paris. Tallemant, t. III, p. 140, dit qu’il faisait le bel-esprit et le galant, ce qui s’accorde assez avec ce qu’insinue ici Mme de Longueville. Voyez aussi sur ce Chenailles et ses intrigues en faveur le Mme de Châtillon, dont il était le parent et l’ami, les Mémoires de Mademoiselle, III, p. 10-15.
  3. Quelle est cette dame, et quel est cet assassinateur ?
  4. Mot difficile à lire, peut-être une abréviation convenue.
  5. Probablement le prince de Condé, à qui elle était alors entièrement revenue.