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aller me jeter avec vous pour le reste de mes jours. Je ne puis le faire qu’après la paix, pour le malheur de ma vie qui m’a été donnée seulement pour me faire éprouver ce qu’il y a au monde de plus aigre et plus dur. Ce qui m’a fait résoudre à ce que je viens de vous dire, c’est que si j’ai eu des attachements au monde, de quelque nature que vous les puissiez imaginer, ils sont rompus et même brisés. Cette nouvelle ne vous sera pas désagréable. Je prétends qu’elle aille à la mère… et à ma sœur Marthe de Jésus. »

Cette sœur Marthe de Jésus n’était autre, selon Villefore, que son ancienne amie Mlle du Vigean, qu’elle avait arrachée à l’amour de son frère le prince de Condé, et qui était allée chercher un asile aux Carmélites, comme le fera bientôt Mlle d’Épernon après la mort du chevalier de Fiesque, et plus tard Mlle de La Vallière. La sœur Marthe dut aisément comprendre ce qui se passait dans le fond du cœur de Mme de Longueville.

Quelques mois après, elle avait quitté Bordeaux et s’était retirée à Montreuil-Bellay, terre que son mari possédait en Anjou, près de Saumur. Villefore dit qu’elle y trouva l’abbé Testu, cet ecclésiastique mondain, bel-esprit quelque peu galant, un des habitués du salon de Mlle de Sablé, dont Louis XIV ne voulut jamais faire un évêque, disant qu’il n’en avait pas les mœurs. Lorsqu’il approcha de l’estrade où Mme de Longueville était assise sur des carreaux, une de ses femmes lui mettait aux mains un livre de piété. L’abbé Testu lui fit compliment sur le choix de ses lectures. « Hélas ! lui répondit-elle indolemment, je leur avois demandé quelque livre pour me désennuier ; elles m’ont apporté celui-là. » Si cette anecdote que rapporte Villefore est vraie, elle montre que sa conversion n’était pas fort avancée, et se réduisait encore au dégoût, à l’ennui, au vide, qui succèdent dans l’ame aux mouvemens désordonnés des passions.

Voici une lettre à Lenet du même lieu, et du 15 octobre 1653, où elle s’explique sur l’état de son cœur à peu près comme elle l’a fait avec les Carmélites, bien que dans un autre style. Elle déclare qu’elle n’a de véritable attachement que pour son frère. C’était en dire assez. Elle rappelle qu’elle n’a pas demandé l’amnistie et qu’elle ne l’a pas encore obtenue. Elle refuse d’envoyer à la cour ; elle demande à M. de Longueville d’y envoyer un des siens, « afin, dit-elle, qu’un visage à moi ne paroisse point en un lieu où je ne puis avoir aucun commerce. » Elle veut que son frère sache qu’elle entend partager sa disgrace. Elle se moque du mariage projeté de son autre frère le prince de Conti avec une nièce de Mazarin. Cette lettre est fière et très mondaine encore.