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misères profondes. Vous les adoucirez un peu, si je puis espérer de votre amitié la part que la personne que nous regrettons en possédoit, et c’est le plus précieux de ses héritages. Pour moi, j’ose vous assurer, et je dis cela pour toutes celles de chez vous à qui elle étoit chère, que si je suis indigne par le peu que je rends de ce que je demande, je le mérite au moins par ma tendresse pour vous, qui augmente, ce me semble, par la triste et nouvelle liaison que notre perte nous fait faire.

« Adieu, ma chère mère, mes larmes m’aveuglent, et s’il étoit de la volonté de Dieu qu’elles causassent la fin de ma vie, elles me paroitroient plutôt les instruments de mon bien que les effets de mon mal. Adieu, encore une fois, ma chère mère, soyez assurée pour vous et pour toutes nos amies que j’hérite de l’amitié que celle qui n’est plus vous a portée et que je la regarderai toute ma vie en vous. »

Mais, dès qu’il s’agit de malheurs qui s’adressent seulement à sa fortune, Mme de Longueville paraît toute différente. Loin de se montrer abattue, elle soutient, elle anime tout le monde, et déploie le courage, la fermeté et la constance d’un chef de parti. On en peut juger par les trois lettres suivantes qu’elle écrit à Lenet, à Bordeaux, et que nous transcrivons sur les originaux :


« Ce 8e juillet[1] (1650).

« J’ai receu un billet que vous m’envoyés daté du 18 du passé. Je vous conjure de continuer à me donner de vos nouvelles, car vous jugez bien de quelle considération elles nous doivent être. Gourville[2] m’a tant dit de choses de tout ce que vous faittes pour nos intérêts, que je ne puis m’empescher de vous dire que j’en suis touchée au dernier point, quoique je n’en sois pas surprise, vous cognoissant comme je fais. Le gouverneur du lieu où je suis[3] n’est point à l’armée, mais avec moy ; vous lui pouvez escrire quand vous voudrés. On dit que le roy va où vous estes ; je souhaite fort que nos diversions l’en empeschent, et que le malheur des commencements de cette affaire soit enfin expiré. Quoi qu’il en arrive, il faut le soutenir jusques au bout. Je ne doute pas que vous ne soiés de ce sentiment, et que vous ne croiés que j’en ai pour vous de tels que je vous les ai promis et que vous les mérités. »


« 22e d’aoust 1650[4].

« On nous parle sy diversement de vos affaires que nous en sommes dans une incertitude cruelle ; estant si fort à désirer qu’elles soient comme quelques uns des bruits qui en courent nous les représentent, et sy fort à craindre qu’elles prennent le train dont les autres nous

  1. Papiers de Lenet, à la Bibliothèque nationale, t. II.
  2. Secrétaire du duc de La Rochefoucauld, passé depuis au service de Condé ; auteur de Mémoires qui ne sont pas sans intérêt.
  3. C’était le marquis de la Moussaye. Mémoires de Lenet, t. Ier, p, 160.
  4. Papiers de Lenet, t. III.