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de relever au milieu de toutes ses folies de la fronde, c’est le caractère qu’elle y a porté.

Quand Mme de Longueville apprit à Paris l’arrestation de ses deux frères et de son mari, et leur emprisonnement à Vincennes, elle s’échappa dans le carrosse de la princesse Palatine[1], et s’en alla en Normandie dans le gouvernement de son mari, espérant soulever toute la province : elle y échoua. Elle eut à peine le temps de sortir de Dieppe par une porte qui n’était pas gardée, ayant avec elle très peu de ses femmes et quelques gentilshommes. Elle fit deux lieues à pied pour gagner un petit port, où elle ne trouva que deux bateaux de pêcheurs, y monta contre l’avis des mariniers, tomba dans la mer, manqua s’y noyer, et, tirée de là, revenue à terre, prit des chevaux, s’y mit en croupe avec les femmes de sa suite, marcha toute la nuit dans cet équipage, et, après avoir erré ainsi quinze jours d’asile en asile, put enfin s’embarquer au Havre sur un vaisseau anglais, qui la conduisit à Rotterdam. Elle traversa la Flandre, et s’en alla rejoindre à Stenai Turenne, qui était alors de la fronde. C’est là qu’elle s’établit et tint ferme jusqu’à la délivrance des princes.

Elle y fut l’ame du parti dont Turenne était le bras. Du haut des remparts de Stenai, elle agitait la France entière. Elle soutenait le courage de ses amis à Paris, en Bourgogne, en Guyenne. Elle publiait à Bruxelles un manifeste que nous n’avons pu retrouver, mais dont Villefore[2] donne des extraits curieux. Elle correspondait avec Chantilly, où sa mère, la princesse douairière de Condé, s’était retirée, avec Bordeaux, où sa belle-soeur, la princesse de Condé, et son neveu, le duc d’Enghien, s’étaient jetés, accompagnés du duc de Bouillon, de La Rochefoucauld, et de beaucoup d’autres personnages, entre autres Lenet, l’agent principal de son frère. Elle tremblait à la fois pour tout ce qui lui était cher, à Vincennes, à Chantilly, à Bordeaux. Éloignée de tout ce qu’elle aimait, seule dans une place de guerre, elle souffrait de tous les côtés de son cœur. Ce qui frappe ici et attache en elle est à la fois sa vive sensibilité et ses abattemens dans les malheurs domestiques, avec un courage indomptable et une parfaite sérénité d’esprit dès qu’il n’est plus question que de guerre et de politique. La femme est tendre et faible, l’héroïne est au-dessus de tous les périls. Leur accord en une même personne est le trait délicat et particulier de Mme de Longueville.

Pendant son séjour à Stenai, en 1650, sa fille, âgée de quatre ans, mourut, et quelque temps après elle perdit aussi sa mère, dont le chagrin avait abrégé la vie, et qui, sur son lit de mort, dit à Mme de Brienne :

  1. Villefore, p. 148, et les mémoires du temps.
  2. Ibid., p. 191.