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Comprenons donc bien Mme de Longueville. Ce n’est point du tout une politique comme la Palatine ; il n’y a pas eu le moindre bon sens dans toutes ses démarches ; elle n’a eu aucun véritable esprit de conduite. C’est une niaiserie de l’accuser de n’avoir pas eu de consistance et de caractère propre : son vrai caractère et l’unité de sa vie doivent être cherchés où ils sont, dans son dévouement à celui qu’elle aimait. Elle est là tout entière et toujours la même, à la fois conséquente et absurde, et touchante jusque dans ses folies.

Je mets tous ses mouvemens désordonnés sur le compte de l’esprit inquiet et mobile de La Rochefoucauld. C’est lui qui est l’ambitieux, c’est lui qui est l’intrigant ; c’est lui qui erre de parti en parti à tort et à travers selon les circonstances, uniquement occupé de ses intérêts, et sans nul autre grand mérite qu’un esprit fertile en expédiens de toute sorte et une bravoure brillante sans talent militaire. Et j’attribue à Mme de Longueville, au sang des Condé, à ce grand cœur qui éclate partout en elle, je lui attribue l’audace dans le danger, un certain contentement secret dans l’excès du malheur, et après les revers une fierté devant les victorieux qui ne le cède point à celle du cardinal de Retz. Mme de Longueville non plus ne baissa pas les yeux ; elle les détourna sur un plus digne objet. N’ayant pas fait une entreprise politique, elle n’avait ni à la soutenir ni à la désavouer ; une fois frappée dans le point qui était tout pour elle, elle dit adieu aux affaires et au monde, sans demander grace à la cour, et ne demandant pardon qu’à Dieu, non pas de ses fautes politiques, mais de ses fautes intimes et particulières.

Ainsi considérées, toutes les critiques adressées à la conduite de Mme de Longueville lui tournent en apologie.

La Rochefoucauld, après avoir fait de Mme de Longueville l’éloge que nous en avons cité, ajoute : « Mais ces belles qualités étoient moins brillantes à cause d’une tache qui ne s’est jamais vue en une princesse de ce mérite, qui est que bien loin de donner la loi à ceux qui avoient une particulière adoration pour elle, elle se transformoit si fort dans leurs sentimens qu’elle ne reconnoissoit pas les siens propres. En ce temps-là le prince de Marcillac avoit part dans son esprit, et comme il joignoit son ambition à son amour, il lui inspira le désir des affaires, encore qu’elle y eût une aversion naturelle. » Cette tache que lui reproche ici La Rochefoucauld est précisément son auréole, celle de la femme aimante et dévouée.

Le futur auteur des Maximes ne fait pas difficulté d’avouer qu’il s’attacha à elle autant par intérêt que par affection. Après une telle déclaration, on n’est guère reçu à s’écrier chevaleresquement :

Pour mériter son cœur, pour plaire à ses beaux yeux,
J’ai fait la guerre aux rois, je l’aurois faite aux dieux.

Non, ce n’est pas pour lui plaire que vous vous êtes engagé dans la