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ainsi que les femmes les plus éminentes de son temps. J’ai parlé ailleurs[1] de Mme Angélique Arnaud et de Jacqueline Pascal, si admirablement douées, et qui n’ont laissé que des œuvres très imparfaites. Les témoignages sont unanimes pour présenter la princesse Palatine comme une personne d’un grand esprit qui traitait d’égal à égal avec les plus grands hommes. Retz[2] et Bossuet[3] le disent, et je les en crois, car ils s’y connaissaient mieux que moi. Lisez cependant quelques lettres autographes[4] qui nous restent de la Palatine : ce n’est certes pas la solidité, la finesse et les traits ingénieux qui leur manquent ; mais je suis forcé d’avouer qu’elles sont pleines d’incorrections, que les phrases y sont très embarrassées, et que les règles les plus vulgaires de l’orthographe y sont quelquefois outrageusement blessées. Je n’en conclus pas du tout que la Palatine n’était pas un esprit du premier ordre, mais seulement qu’on ne lui avait point enseigné l’art de rendre convenablement par écrit ses sentimens et ses pensées. Mme de Longueville n’était pas beaucoup plus exercée. Aussi tout ce que nous avons publié d’elle, et ce que nous mettrons bientôt sous les yeux du lecteur, se ressent à la fois de la beauté de son génie et des défauts de son éducation.

À ces femmes qui écrivent si bien et si mal, on se plaît à opposer Mme de Sévigné et Mme de La Fayette, qui écrivent toujours bien. Pour être juste, il faudrait, ce semble, tenir compte ici de deux choses : d’abord ces deux dames étaient plus jeunes de quelques années, et elles ont pu profiter des progrès alors si rapides de la langue et du goût ; ensuite elles avaient reçu une tout autre éducation. Elles avaient eu un maître de langue et de littérature pendant leur jeunesse et même après leur mariage, et ce maître était un des hommes les plus savans du XVIIe siècle, qui en même temps avait les plus hautes prétentions au bel esprit, au bel air, à l’air galant. Ménage avait appris à Mlle de Rabutin et ensuite à Mlle de Lavergne non-seulement la langue française telle qu’on la parlait et l’écrivait à l’Académie, mais la langue des beaux esprits du temps, l’italien, et même un peu de latin ; il ne leur fit grace que du grec. Il les exerça à écrire, corrigeant leurs compositions, marquant leurs fautes, cultivant leurs heureux instincts, polissant et réglant leur esprit et leur style. Il les retint assez long-temps sous cette discipline qui avait pour lui ses douceurs. Leur professeur était aussi leur adorateur platonique, plus platonique qu’il ne l’eût voulu. Il leur adressait des stances, des sonnets, des idylles, des madrigaux, des vers de toute sorte

  1. IVe série, t. II, p. 20.
  2. Mémoires, t. Ier, p. 221 : « Je ne crois pas que la reine Élisabeth d’Angleterre ait eu plus de capacité pour conduire un état. »
  3. Oraison funèbre de la princesse Palatine.
  4. Et pour cela adressez-vous à l’obligeance de M. Grangier de La Marinière.