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réputation un peu usurpée d’Anne d’Autriche. Ses yeux étaient du bleu le plus tendre. Des cheveux, d’un blond cendré de la dernière finesse, descendant en boucles abondantes, ornaient l’ovale gracieux de son visage, et inondaient d’admirables épaules, très découvertes selon la mode du temps. Voilà le fond d’une vraie beauté. Ajoutez-y un teint que sa blancheur, sa délicatesse et son éclat tempéré ont fait appeler un teint de perle. Ce teint charmant prenait toutes les nuances des sentimens qui traversaient son ame. Elle avait le parler le plus doux. Ses gestes formaient avec l’expression de son visage et le son de sa voix une musique parfaite ; ce sont les termes mêmes d’un contemporain fort désintéressé, d’un écrivain janséniste, peut-être Nicole, « en sorte, dit cet écrivain, que c’était la plus parfaite actrice du monde[1]. » Mais le charme qui lui était propre était un abandon plein de grace, une langueur, comme s’expriment tous les contemporains, qui avait des réveils brillans, quand la passion la saisissait, mais qui, dans l’habitude de la vie, lui donnait un air d’indolence et de nonchalance aristocratique qu’on prenait quelquefois pour de l’ennui, quelquefois pour du dédain. Je n’ai connu cet air-là qu’à une seule personne en France, et cette personne, disparue avant le temps, a laissé une mémoire si pure, et je pourrais dire à bon droit si sainte, que je n’ose la nommer en un tel sujet, même pour la comparer à Mme de Longueville.

Et je ne fais pas là, croyez-le bien, un portrait de fantaisie ; je me borne à résumer les témoignages. Je les citerai, si l’on veut, pour prouver ma parfaite exactitude.

Commençons par celui qui l’a le mieux connue, et qui certes ne l’a pas flattée. « Cette princesse, dit La Rochefoucauld dans ses Mémoires[2], avoit tous les avantages de l’esprit et de la beauté en si haut point et avec tant d’agrément qu’il sembloit que la nature avoit pris plaisir de former un ouvrage parfait et achevé. »

Écoutons aussi le cardinal de Retz, très bon juge en pareille matière, et qui aurait bien voulu prendre la place de La Rochefoucauld « Pour ce qui regarde Mme de Longueville, la petite vérole lui avoit ôté la première fleur de la beauté[3] ; mais elle lui en avoit laissé presque tout l’éclat, et cet éclat joint à sa qualité, à son esprit et à sa langueur, qui avoit en elle un charme particulier, la rendoit une des plus aimables personnes de France. » Et ailleurs : « Elle avoit une langueur

  1. Voyez IVe série, Littérature, t. III, p. 306-308.
  2. La première édition de ces Mémoires est de 1662, à Cologne, sans nom d’auteur. Je me sers d’une de ces éditions elzéviriennes de 1664, qui sont assez communes. Voyez p. 58 et 59.
  3. Cette maladie lui survint l’année même de son mariage. Il ne lui en resta presque aucune trace, comme l’atteste une lettre de Godeau, citée par Villefore, p. 41. « Pour votre visage, un autre que moi se réjouira avec plus de bienséance de ce qu’il ne sera pas gâté. Mlle Paulet me le mande. »