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réfléchi, et comme intérieur, qui n’appartient qu’à la foi ; elle apparaît encore dans ce rayon de jour qui vient d’en haut, et dont le peintre a tiré un si heureux parti pour illuminer le visage de la condamnée, et en quelque sorte pour la glorifier autant qu’il lui était permis de le faire sans recourir à l’allégorie. Ce n’est plus là une victime de la fatalité antique ; ce n’est pas non plus, comme chez Charlotte Corday, la rayonnante exaltation d’un glorieux fanatisme, ni, comme chez Mme Rolland et les girondins, l’impassible et indifférente sérénité des confesseurs de la philosophie moderne.

Nous sommes disposé à croire que ce sujet a long-temps préoccupé l’artiste. Il appartenait de droit au peintre le plus dramatique de notre époque de retracer cette scène, la plus émouvante peut-être, de cette grande tragédie de la révolution française. Nous savons que M. Paul Delaroche est doué d’un esprit très souple et très étendu. Souvent facile et correct, très rarement vulgaire, quelquefois châtié et presque archaïque, il est toujours intéressant. Obéissant à une des évolutions de son talent, il a composé avec une adresse infinie l’un des plus considérables morceaux de peinture décorative que l’école française ait produits. Ses peintures de l’hémicycle de l’école des Beaux-Arts, où brille un rare talent, accusent plutôt une tentative dans le style héroïque qu’une complète transformation, et ne sont peut-être qu’un magnifique caprice. M. Paul Delaroche sut sans doute se plier merveilleusement aux convenances du sujet qui écartaient tout intérêt, toute passion. Il composa un beau poème dans un genre à la fois admiratif et didactique, plein de détails ingénieux et charmans, d’aperçus philosophiques, de points de vue nouveaux et scientifiques, qui étonna la foule plutôt qu’il ne la séduisit. Cette fois il plut sans émouvoir. Or, une des propriétés du talent de M. Paul Delaroche est de savoir presque toujours plaire et toujours émouvoir. Nous ne sommes donc pas surpris que l’homme qui débuta, il y a vingt-cinq on trente ans, par Joas dérobé du milieu des Morts (salon de 1822), Jeanne d’Arc malade et interrogée dans sa prison par le cardinal de Winchester (salon de 1824), Caumont de la Force, Miss Macdonald et les Suites d’un Duel (salon de 1827) ; qui plus tard a produit les Enfans d’Édouard, l’Élisabeth, la Jane Gray, le Charles Ier, le Strafford, le Cromwell, et tant d’autres morceaux d’un intérêt si saisissant, ait fait une infidélité à ces belles et froides madones de la renaissance, à ces majestueux personnages des fresques florentines qui le captivaient naguère, pour revenir franchement au drame. Ce retour est aussi absolu que possible. La peinture de M. Paul Delaroche est bien de la peinture contemporaine, pleine d’actualité ; il existe même plus d’un point de rapport, plus d’une singulière analogie entre son dernier ouvrage et la composition qui le fit connaître au début : nous voulons parler de Jeanne d’Arc dans sa prison. Le malheur de la reine n’est pas moins touchant que celui de la bergère, et toutes deux viennent de tomber de bien haut. La tête du cardinal de Winchester interrogeant la prisonnière et celle de l’officier démagogue qui commande l’escorte de la rune captive sont bien du même pinceau et animées toutes deux par un égal fanatisme. Cette fois, il faut le dire, le drame s’est élevé, s’est épuré ; les petits effets, les détails secondaires ont disparu. Tout l’intérêt est concentré sur une seule figure et résulte d’une seule expression ; ce n’est plus une action, c’est un dénouement, et des plus poignans.