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s’entendre si bien avec des montagnards. Nous n’avons pu nous empêcher de le remarquer assez tristement. M. Baze nous écrit, et l’écrit ailleurs pour qu’on n’en ignore, qu’il n’y a là « qu’une induction tirée par notre imagination d’un fait contraire à la vérité. » Nous serions trop heureux de l’en croire ; mais comment lui est-il encore arrivé ces jours-ci, dans son bureau, de s’échauffer si fort au service de M. Charras et de M. Favre contre M. Léon Faucher, et même un peu contre M. de Broglie ? Quant à l’erreur pour laquelle il nous gourmande d’un ton qui n’est pas mal vert, ce serait d’avoir dit qu’avec M. Charras il faisait la majorité dans la commission des pétitions, tandis qu’il y avait dans cette commission cinq représentans et non pas trois. Nous l’avouerons d’abord, nous avons d’autant plus d’estime et d’attachement pour le régime parlementaire, que nous évitons un peu d’abuser des couloirs et d’écouter aux portes des bureaux. Nous tenons à nos illusions, et nous prions M. Baze de ne pas nous obliger à les perdre ; mais aussi pourquoi le prend-il mal ? pourquoi ne veut-il point, par exemple, que nous ayons pensé dire qu’il faisait la majorité par sa propre importance, par l’autorité de sa coalition avec M. Charras ? Qui sait ? c’est peut-être ainsi qu’il a converti M. de Melun.

M. Baze nous pardonnera-t-il une dernière observation qui ne s’adresse pas seulement à lui ? Nous commençons à regretter ce qu’il y avait de discipline dans les anciennes chambres de la monarchie : à plus forte raison avons-nous toujours envié celle des chambres anglaises. Ne devient pas qui veut un leader dans le parlement anglais ; il y faut plus d’un titre et plus d’une formalité. On se rappelle peut-être le défunt lord Bentink entrant en possession de cette espèce de magistrature ; ce fut une véritable solennité politique. Le leader une fois reconnu, on lui obéit, et c’est bien rare qu’on voie dans son armée des batteurs d’estrade. En France, sous la monarchie, selon des habitudes qui commençaient à être des traditions, il y avait à chaque bord des chefs acceptés qui empêchaient qu’on ne se débandât ; les partis se distinguaient par les noms de leurs chefs, et l’on n’osait point trop s’improviser une initiative en dehors d’eux. Les députés qui arrivaient de leurs provinces s’arrangeaient modestement leur place à leur rang de bataille, et ne visaient pas tout de suite à commander hors ligne ; ils l’eussent voulu qu’ils n’en auraient pas été plus avancés, et qu’il eût bien fallu faire de nécessité vertu. Tout est changé maintenant ; le morcellement des partis, l’éparpillement des idées, ont donné carrière suffisante à toutes les ambitions comme à tous les mérites secondaires ; on a beaucoup de malheur quand on n’aperçoit pas un coin à part où faire son lit pour soi seul ; comme on le fait, on s’y couche. On ne prend conseil de personne on va de l’avant, on pousse sa pointe, on tire à droite, à gauche ; on veut être en vue, on veut être quelqu’un. On a quitté le barreau de sa province, où l’on était honorablement connu ; on n’est pas plus tôt débarqué dans la capitale, qu’on se dépêche de passer à l’état de célébrité européenne ; il faut qu’on ait son amendement, sa proposition. M. Dupin, qui a tant d’esprit, devrait bien inventer un moyen de désigner les propositions autrement que par les noms de leurs auteurs, il aurait ainsi bientôt guéri la moitié de ces maladies parlementaires qui lui procurent tant de tracas. Les anciens chefs n’étaient pas assurément sans avoir aussi leurs inconvéniens ; ils s’immobilisaient peut-être par trop dans l’apothéose qu’on leur décernait et s’enivraient un peu de notre encens ;