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et pour ses marchés de bestiaux, est un port de mer dans les statistiques du ministère des travaux publics. Les marées des syzygies y remontent avec fracas par le lit du Couesnon et se font sentir jusqu’à Antrain, à douze kilomètres en amont. Les difficultés irrémédiables de l’atterrage ont interdit l’accès de cette rivière au commerce ; elle ne porte que quelques bateaux de tangue, et la navigation ne pourrait y prendre un peu d’activité que par l’exécution de projets de Vauban qui embrassent de bien plus grands intérêts.


III

De Pontorson au Mont-Saint-Michel, la distance n’est que de 10 kilomètres ; on en franchit les trois quarts sur une route départementale construite pour le transport de la tangue, et l’on n’a qu’un court trajet à faire sur ces grèves sinistres, auxquelles le goût des voyageurs pour le merveilleux et les frayeurs intéressées des guides ont fait une si menaçante renommée.

On peut admirer la baie du Mont-Saint-Michel, on peut la maudire, mais non pas prétendre avoir rien vu de semblable. Les œuvres des hommes aussi bien que celles de la nature ont ici un caractère de sauvage grandeur qui défie tous les souvenirs et toutes les comparaisons. Aux équinoxes, l’amplitude des marées atteint, indépendamment du refoulement des eaux de l’Océan sous la pression des tempêtes du nord-ouest, une hauteur verticale de 15 mètres. La mer se retire alors à 12 kilomètres du Mont, puis elle revient, l’enveloppe de ses eaux, et inonde à 12 autres kilomètres en arrière les baies de la Sée et de la Sélune. À mer basse, cet immense espace, encadré dans des coteaux verdoyans, a l’aspect d’un lit de cendres blanchâtres. Au milieu se dresse le noir rocher du Mont-Saint-Michel, immnsi tremor Oceani, disent les vieilles chroniques, abrupt et vertical au nord et à l’ouest, garni jusqu’à mi-hauteur, du côté du midi, de cabanes plaquées comme des nids d’hirondelles à ses flancs, et couronné d’une des plus étonnantes constructions qui soient sorties de la main de l’homme. Il occupe dans la grève un espace planimétrique de 6 hectares 25, et le pied de l’échelle du télégraphe qui s’élève au sommet est à 121 mètres 60 au-dessus du niveau de la mer moyenne. À 2,500 mètres au nord surgit le rocher de Tombelaine, granitique comme celui de Saint-Michel, presque aussi étendu, beaucoup moins haut, mais inhabité depuis que Louis XIV a fait démolir les fortifications dont il était garni. Que la mer recouvre les grèves ou qu’elle s’en retire, la même solitude règne autour de ces deux roches : l’eau y fût-elle assez profonde, elle n’y reste jamais assez pour permettre aux embarcations de s’y hasarder, et ses retours sont trop fréquens pour laisser au parcours territorial le temps de se régulariser. Il ne faut néanmoins pas croire qu’entre le