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qui étaient parvenues au comble, vont décroître et s’assoupir. « Puisses-tu, ajoutait-il, ô père vénéré ! adresser long-temps de tels veaux au ciel pour l’empereur, pour la république romaine et pour ceux que tu en trouves dignes ! » Cette correspondance se termine par un échange de cadeaux entre le vieil évêque et le comte italien. Celui-ci demande à Augustin un exemplaire du précieux livre de ses Confessions, et lui envoie en retour un médicament que le médecin qu’il a près de lui regarde comme souverain contre les infirmités dont l’évêque d’Hippone est atteint : remède du corps contre un remède de l’ame ! On suit avec un vif intérêt, à travers ces confidences voilées, la marche d’une négociation dont l’histoire ne nous expose que le résultat. Bonifacius, ouvrant enfin le fond de son cœur à ce fidèle ami, avoua tout, expliqua tout, et montra la lettre d’Aëtius. Darius reprit aussitôt le chemin de Ravenne.

Ce fut un éclair pour Placidie, mais cet éclair l’épouvanta : elle avait tout livré à l’homme dont on lui dévoilait la fourberie, ses provinces les plus belliqueuses, sa meilleure armée, l’entrée de ses conseils, et jusqu’au généralat suprême, dont il lui avait fallu bien à contre-cœur dépouiller Félix. En effet, le maître des milices s’était attribué une part si personnelle dans la chute de Bonifacius, il en triomphait si arrogamment, qu’on s’en prit à lui des malheurs qui en étaient la suite, et le comte Aëtius ne manqua pas d’unir sa voix à la clameur publique, afin de le mieux accabler. Sous le poids d’une réprobation universelle, le mari de la favorite dut se démettre de sa charge de généralissime qu’Aëtius était tout prêt à recueillir. En vain la régentes obligée de le sacrifier, lui offrit-elle en dédommagement la dignité de patrice, alors vacante, ainsi que je l’ai dit ; cette dignité, séparée du commandement effectif, n’était plus qu’un vain titre, ridicule par sa grandeur même. Dans son mécontentement, Félix fit passer sur son successeur la haine dont il poursuivait naguère le comte d’Afrique, et déjà, suivant son habitude, il ourdissait contre Aëtius quelque noir complot dont celui-ci fut averti. Un matin, les soldats qui formaient la garnison de Ravenne s’armèrent spontanément, et, se portant en furieux sur le palais, exigèrent qu’on leur livrât le nouveau patrice, sa femme Padusa, et leur ami le diacre Grunnitus, qui furent tous trois massacrés sur la place. Placidie baissa la tête, et Aëtius retourna tranquillement dans son gouvernement des Gaules.

Tel était l’état des choses quand les révélations du comte Darius mirent le comble aux frayeurs de la régente ; elle recommanda de les tenir secrètes jusqu’à ce qu’elle eût pris toutes ses mesures pour attaquer de front un ennemi si puissant, et, afin de le mieux endormir, elle le désigna consul pour l’année suivante. Cependant Bonifacius réconcilié s’épuisait en efforts pour réparer le mal qu’il avait fait. Il