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le droit non-seulement de juger en dernier ressort les causes des ecclésiastiques, mais encore de décider entre laïques comme arbitres. Cette loi, qui choquait tous les principes du droit romain, fut l’objet d’une opposition vive et constante dans les rangs élevés de la société.

Cet ensemble de lois n’était pas toujours et intégralement observé on appliquait les unes, on suspendait ou on laissait dormir les autres. C’était un arsenal où le gouvernement venait puiser les armes que la circonstance réclamait : l’idée restait debout pour éclairer la marche et montrer le but. On comprend dès-lors le double empressement qui éclata après la mort d’Honorius, de la part du sénat romain, pour abolir les lois d’unité ; de la part de Placidie, pour les rétablir. La régente ne se donna pas le temps de prendre pied en Italie ; elle proclama sa politique par trois constitutions rendues au nom de son fils, lorsqu’elle était encore à Aquilée. Son impatience féminine à tout reconstituer en un instant était excitée par sa dévotion fervente, par le respect qu’elle portait à la mémoire de son père, et aussi par le fanatisme vrai ou simulé des courtisans qui avaient su capter sa confiance.

Toutefois le gouvernement de Placidie, malgré la virilité d’esprit dont elle avait fait preuve à une autre époque, ne fut qu’un gouvernement de femme, livré, dès son début, au favoritisme. Un petit conciliabule, à la tête duquel figuraient Padusa, femme du grand maître des milices Félix, le grand-maître des milices lui-même, et un diacre nommé Grunnitus, expert en intrigues et grand machinateur de complots, dirigeait tout, parlait, agissait au nom de la régente. Félix était un de ces hommes, produits des temps de révolution, toujours violens, toujours exclusifs, conseillers perpétuels de mesures extrêmes, et qui, par cela même, semblent s’être acquis le droit de passer d’un parti à l’autre, ne fût-ce qu’à titre de bourreaux. On n’avait pas toujours connu Félix si zélé catholique, et il n’y avait pas long-temps que, sous un faux prétexte et par vengeance, il avait fait tuer, pendant une distribution d’aumônes, un diacre romain que l’église a mis au rang des saints. Les temps ayant changé, Félix se hâta d’expier ce meurtre par un autre meurtre. Le siège épiscopal d’Arles avait été envahi par un intrus nommé Patrocle, qui parvenait à se maintenir dans la province, malgré l’opposition des autres évêques gaulois : Félix donna mission à un tribun barbare d’aller lui couper la gorge, tranchant ainsi du même coup le schisme et le schismatique. Ce soldat féroce imposait par sa brutalité même. Le triumvirat malfaisant déclarait surtout la guerre aux personnes, disposait des places, et, pour perdre ceux dont il se méfiait, ne ménageait pas plus la calomnie que la violence.

Sur ces entrefaites arrive à la cour de Placidie le comte Bonifacius, appelé par la régente, à qui il tardait probablement de saluer le restaurateur