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vieilles traditions, de leurs préjugés, de leurs rivalités nationales. L’auxiliaire frank jalousait l’Alaman, l’Alaman regardait le Vandale de mauvais œil ; le Vandale, à son tour, méprisait comme un manœuvre indigne du nom de guerrier le Burgon de laborieux, pacifique, adroit aux travaux de menuiserie, et qui louait ses bras dans les ateliers romains de la frontière lorsqu’il ne se battait pas ; enfin le fier Visigoth, barbare parmi les Romains et Romain parmi les barbares, ne cachait guère le dédain qu’il leur portait à tous indistinctement. Cependant ces enfans de l’Europe septentrionale déposaient leurs rivalités pour haïr et maudire en commun les nomades asiatiques dont les hordes venaient maintenant leur faire concurrence sur le Danube, ce grand marché des recruteurs romains. Connaître ces divisions, en étudier les causes et les alimenter au besoin, afin de tenir en respect les uns par les autres des défenseurs si redoutables, c’était pour le Romain du Ve siècle une branche importante de la science politique, et Rome ne se montrait pas moins ingénieuse à diviser ses stipendiés barbares qu’à bien appliquer dans les batailles les diversités de leur armement, de leurs habitudes, et leur nature particulière de courage. Or, si les préjugés de race se faisaient sentir à ce point parmi des troupes régulières en perpétuel contact avec les idées et les mœurs de la civilisation, quelle vivacité ne devaient-ils pas avoir au sein des masses émigrées qui parcouraient le sol romain en corps de nation, roulant dans leurs chariots, avec leurs vieillards, leurs enfans et leurs femmes, tout le dépôt des traditions de la vie barbare ? Aussi, quand deux de ces bandes venaient à se rencontrer dans leurs promenades à travers l’empire, y avait-il toujours un moment d’hésitation pour elles-mêmes, d’effroyable perplexité pour les provinciaux romains. L’empire se transforma plus d’une fois en un champ clos où vinrent se vider des querelles nées dans les forêts du Danube ou dans les steppes du Borysthène. On vit un jour une nation barbare forcer la frontière romaine pour aller saisir au fond de l’Occident une autre nation qu’elle réclamait comme sa sujette, et à laquelle Rome avait donné asile. Que devenaient au milieu de tout cela les riches cultures, les villas, les palais, les cités magnifiques que la barbarie prenait pour théâtre de ses ébats ?

De même que les tribus sauvages de l’Amérique, les nations barbares de l’Europe s’infligeaient les unes aux autres des surnoms outrageans ou ridicules dont elles se poursuivaient dans leurs querelles, et qui devenaient souvent des causes de guerre acharnée. L’histoire s’est amusée à nous conserver quelques-uns de ces sobriquets de nos pères, et certaines qualifications satiriques employées par les Romains peuvent nous fournir une idée des autres, tant elles semblent avoir été empruntées au vocabulaire des haines barbares. Ainsi on qualifiait le Vandale d’avare et de lâche parjure était l’insulte ordinaire adressée