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le sceau fatal qui proclame leur dissolution prochaine, c’est l’abaissement des caractères dans les individus, l’absence de règle dans les masses ; c’est l’égoïsme poussé jusqu’à l’indifférence des autres et de soi-même. Quand l’homme ne sait plus ce qu’il doit vouloir, il cesse bientôt de savoir ce qu’il veut. On verra qu’il ne manquait à cette société du Ve siècle ni l’intelligence, ni le goût des arts et de la vie élégante, ni les capacités rares qui deviennent du génie sous l’empire de principes énergiques, à des époques de forte vitalité sociale. Ces élémens des natures d’élite, la Providence ne les a pas plus refusés à ce siècle qu’à tous les autres, et pourtant il n’en sort que des hommes incomplets : les uns, grands un instant, tombent tout à coup, et avec de nobles instincts deviennent le fléau de leur patrie, sans qu’elle se décide à les haïr ; d’autres commencent par le mal et font ensuite le bien par gloriole ou par intérêt, quand ils ont mis la patrie sous leurs pieds. Pourtant une lumière se montre au fond de ces ténèbres, et l’on sent que l’humanité ne périra pas. Des représentans d’un avenir inconnu apparaissent çà et là ; leur parole relève les ames déchues et fait descendre dans ce néant le sentiment d’une résurrection future. Un de ces personnages consolans figurera dans nos récits.

La plus grande misère de cette société, c’est que les barbares y sont partout ; quand ils n’y entrent pas de force, elle les appelle et les prend pour se détruire. Instrumens de la dissolution universelle, les masses les invoquent comme un remède extrême à leurs souffrances sociales, un de ces remèdes qui guérissent en tuant ; le pauvre les suscite contre le riche, l’ambitieux contre le gouvernement qu’il sert ou contre le rival qu’il veut perdre. Le Goth, le Vandale, le Hun, remplacent dans les discordes civiles du Ve siècle les bandes d’italiens et de Latins que soulevaient les tribuns de Rome républicaine et qui firent la guerre sociale. À la moindre souffrance, à la moindre rancune, à la moindre velléité ambitieuse, l’exterminateur est là ; on l’arme, on le déchaîne sur son pays. Attila fut conduit en Gaule par un chef de Bagaudes ; chose triste à dire ! il y entra comme l’allié d’une jacquerie romaine. La colère d’un général romain livre l’Afrique aux Vandales, l’ambition d’un autre livre l’Illyrie ; partout l’instrument devient maître. C’est un nouveau point de vue sous lequel, dans les narrations qui vont suivre, nous envisagerons ces deux sociétés, attachées désormais l’une à l’autre indissolublement, pour s’étreindre, se déchirer et se féconder.


I

Les barbares à la solde de l’empire apportaient sous ses drapeaux, avec leur vaillance originelle, le bagage parfois embarrassant de leurs