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les degrés successifs par lesquels la personne morale se dégage du sein des instincts et des penchans ; assister aux alternatives de triomphe et de revers, de joie et de douleur, de l’ame qui se connaît et se possède, en lutte contre les instincts aveugles de la machine organisée ; montrer enfin cette ame, déçue par les espérances de la vie et découragée par sa propre faiblesse, trouvant dans le Dieu vers lequel elle se tourne avec espoir la force, le repos et la lumière véritable, et voyant dès-lors s’ouvrir devant elle les radieuses perspectives d’une vie qui ne doit pas finir : tel était le vaste tableau dans lequel l’auteur se proposait de passer en revue tous les faits réels de l’existence. Il voulait substituer une histoire vivante de nos destinées aux classifications souvent arbitraires et aux analyses presque toujours arides de la psychologie ordinaire ; son but n’était pas seulement de distinguer, de séparer, de disséquer, pour ainsi dire, les élémens de la vie, mais de présenter ces élémens diversement combinés, de manière à reproduire dans leur vérité les états divers par lesquels passent successivement les aines humaines. Cette œuvre ne fut pas terminée. Au mois d’octobre 1823, l’auteur déposa sur le papier le plan des Nouveaux Essais d’anthropologie ; neuf mois après, il avait cessé de vivre. Des fragmens et des ébauche conservent seuls la trace du dernier mouvement de sa pensée philosophique ; mais ces documens imparfaits, joints au plan qui en marque la place, pourront suffire à sauver de l’oubli la dernière théorie à laquelle s’était arrêté cet esprit, dominé dans toutes ses recherches par un besoin sérieux de la vérité.

La carrière philosophique de M. de Biran offre l’image d’un voyage prolongé dans des régions toujours nouvelles. Des intérêts personnels, des considérations d’amour-propre ne vinrent jamais immobiliser se pensée ; jamais il n’hésita à abandonner, pour en chercher une autre, une région que la lumière pure de la vérité ne lui semblait plus éclairer. Nul homme peut-être, dans les recherches de l’intelligence, n’aboutit à un terme aussi éloigné de son point de départ. Il commence avec Condillac et la morale de l’intérêt, il finit avec Fénelon et la morale du renoncement absolu. Trois périodes distinctes partagent ce long trajet : dans la première, que le mémoire sur l’habitude termine et résume, il explique l’homme tout entier par les sensations, les besoins et les instincts ; dans la deuxième, qui s’ouvre par le mémoire sur la Décomposition de la pensée et se ferme par l’Essai sur les fondemens de la psychologie, il constate les droits et la place de la volonté, et voit la condition humaine dans la lutte incessante de deux principes opposés ; dans la troisième, que caractérisent les Nouveaux Essais d’anthropologie, il cherche dans l’intervention divine le secret de notre destination véritable. Il est facile de saisir les rapports étroits de ce développement