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ne lui avaient pas permis de le donner au public. Lorsque les idées religieuses commencèrent à prendre une place importante dans son esprit, il crut peut-être pendant un temps qu’il suffirait de faire quelques additions à son ouvrage ; mais, en 1823, il éprouva le besoin de le remanier complètement pour le mettre en harmonie avec ses pensées nouvelles. Dans l’Essai, il avait profondément distingué deux élémens dans notre nature : une vie inconsciente, ayant ses lois dans lesquelles aucun élément de volonté n’intervient ; une vie proprement humaine, dont la conscience est le caractère et dont la volonté est l’agent. La destination de l’homme lui paraissait alors se résumer dans le triomphe de la volonté sur les élémens d’une existence inférieure. Maintenant, sans rejeter les bases de cette analyse, il la trouvait insuffisante. Un élément nouveau, en effet, le rapport de l’homme avec l’esprit de Dieu, lui était apparu, et cet élément réclamait une place telle que toute l’économie de la construction philosophique précédente s’en trouvait modifiée. Le secours accordé par Dieu à l’homme étant admis, la grace acceptée, il en résultait deux conséquences d’une importance égale : la première, que la volonté ne triomphe pas seule dans la lutte entre les penchans, mais doit être soutenue par une force supérieure ; la deuxième, que le but dernier de la volonté n’est pas de se posséder elle-même et de se complaire dans son triomphe, mais de se donner à Dieu tout entière. Dieu en effet, puisqu’il est l’appui de l’ame, la force de sa faiblesse, devient par là même sa seule fin légitime. La volonté, ne se soutenant que par la grace, se doit au Dieu dont cette grace procède. À l’époque de la rédaction de l’Essai, M. de Biran disait avec Fénelon : « Nous n’avons rien à nous que notre volonté ; tout le reste n’est point à nous. La maladie enlève la santé et la vie ; les richesses nous sont arrachées par la violence ; les talens de l’esprit dépendent de la disposition du corps. L’unique chose qui est véritablement à nous, c’est notre volonté. » Il ajoutait plus tard avec le même auteur : « Aussi est-ce elle (la volonté) dont Dieu est jaloux, car il nous l’a donnée, non afin que nous la gardions et que nous en demeurions propriétaires, mais afin que nous la lui rendions tout entière, telle que nous l’avons reçue et sans en rien retenir[1]. »

Le triomphe de la volonté sur la nature sensible, qui était précédemment le terme et le but du développement humain, n’était donc plus maintenant qu’un moyen ; l’abandon de la volonté à Dieu devenait le but final. L’Essai passait sous silence le fait capital dans lequel se résume la destination légitime de la créature humaine. Cette vue nouvelle présida au plan des Nouveaux Essais d’anthropologie ; tel était le titre du dernier écrit dans lequel M. de Biran entreprit de développer

  1. Œuvres spirituelles. — Conformité à la Volonté de Dieu.