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saisisse dans l’ensemble des dogmes chrétiens ; l’idée du pardon n’a ers de place dans son esprit. Dans les dernières lignes de son Journal, il invoque sans doute le divin médiateur ; mais ce médiateur n’est pas celui qui se place entre le coupable et le juge, c’est l’ami qui empêche l’homme de succomber sous le poids de la solitude.

Cette espèce d’oubli d’une doctrine aussi capitale dans l’économie générale de la vérité chrétienne n’est point un accident dans la pensée de M. de Biran, c’est le résultat de l’ensemble de son développement intérieur. Dans ses profondes analyses de l’homme, il n’avait jamais fixé ses regards avec quelque soin sur l’obligation morale et sur la responsabilité qui en est la conséquence. La position des problèmes qu’il agitait ne dirigeait pas son attention de ce côté, et sa constitution personnelle avait éveillé son intérêt sur les rapports de l’ame avec l’organisme plutôt que sur les rapports de la volonté avec la loi du devoir. Lorsqu’il dirige sa pensée sur la morale, ce qui le préoccupe, c’est la beauté d’une vie ordonnée, paisible, conforme aux lois de la raison et de l’harmonie, par opposition à une vie agitée, sans base fixe, dominée par des passions inquiètes et mobiles ; c’est encore la douceur et la convenance des sentimens bienveillans et cette harmonie des hommes entre eux, qui résulte d’une affection réciproque ; il va même jusqu’à identifier la conscience morale avec la sympathie qui unit les hommes entre eux. Toutefois le devoir dans sa sévérité majestueuse, le devoir qui oblige et qui condamne, ce fait que Kant posait à la base de toute sa doctrine, le philosophe français ne l’avait jamais regardé en face, et par suite n’en avait pas apprécié toute la portée. Il déplorait donc la faiblesse de la volonté plutôt que ses fautes, et la misère d’une vie subordonnée aux impressions extérieures et aux mille variations de la : sensibilité interne plutôt que le caractère coupable d’une existence étrangère à l’observation des lois divines. « Mon Dieu ! s’écriait-il dans les angoisses qui présageaient sa dernière maladie, délivrez-moi du mal, c’est-à-dire de cet état du corps qui offusque et absorbe toutes les facultés de mon ame[1] ! » Faiblesse, misère, c’est donc là ce qu’il découvre avec douleur en lui et dans ses semblables, non le péché proprement dit, la transgression de la loi divine.

M, de Biran arrive ainsi à la grace sans avoir passé par l’intermédiaire de la loi. On comprend dès-lors pourquoi l’Imitation de Jésus-Christ et les Œuvres spirituelles de Fénelon étaient ses lectures de prédilection. Ces ouvrages, en effet, supposent le dogme chrétien bien plus qu’ils ne l’exposent et se rapportent d’une manière presque exclusive aux opérations de l’esprit de Dieu dans l’ame du croyant. Cette action de Dieu et les états intérieurs qui en sont la conséquence sont

  1. Journal intime, 27 mars 1824.