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qu’il marche par des degrés précis et comme à pas comptés vers le but auquel il tend. Il hésite, il s’arrête, il recule même, et ce n’est qu’en considérant des périodes de quelque étendue qu’on discerne, au milieu de ses incertitudes et de ses chutes, la direction toujours plus claire de sa pensée, ou, pour mieux dire, le courant toujours plus marqué de son ame. Son développement religieux rencontre plus d’une entrave. Cette constante habitude de réflexion, préservatif inefficace contre les rechutes, devient elle-même la source d’obstacles à ses progrès, plus sérieux peut-être que ceux qui naissent des influences mondaines. Tout lui devient matière à problème. Il éprouve dans son état intérieur les bienfaits de la religion, des lueurs de calme et de paix lui sont accordées ; mais est-ce là véritablement le don de la grace, l’accomplissement des promesses divines ? Cet instant de joie, cette heure douce et paisible, ne faut-il pas les attribuer à une circonstance toute physique, à un état exceptionnel des fonctions de la vie ? Est-ce Dieu qui agit ? est-ce le simple résultat de l’organisme ? Il prie, et il a dû à la prière une journée de calme, de raison et de paix. C’est un fait à examiner. Il faudrait considérer les effets psychologiques de la prière. D’où provient son efficace ? La force obtenue est-elle vraiment un don surnaturel ? N’est-ce point une simple réaction de l’ame opérant sur elle-même dans des conditions déterminées ?… Ainsi tout fait soulève une question, toute question suscite un doute. Combien de fois, en parcourant les pages du Journal intime, on souhaite à l’auteur une foi plus simple ! Combien de fois on est presque tenté de regretter cette habitude d’analyse qui vient se poser en travers du chemin de l’ame ! Il semble quelquefois que l’on ait affaire à un physiologiste qui refuse de prendre sa nourriture avant de l’avoir décomposée pour en reconnaître les élémens.

Cet instinct scientifique, qui avait fait les succès de l’auteur dans les travaux de la pensée, vient traverser à un autre titre encore son développement religieux. La dissipation et la légèreté d’esprit sont fort opposées sans doute aux dispositions qui rapprochent l’homme de Dieu ; mais tout a ses abus, et l’habitude de la réflexion sur soi-même, de l’analyse détaillée de ses impressions et de ses mobiles, ne doit pas dépasser certaines limites pour demeurer salutaire. Il arrive qu’en s’observant trop, on finit par regarder au lieu d’agir ; on consume dans ce travail de la pensée des forces qui font ensuite défaut, lorsque les luttes de la vie les réclament. Le désir de se rendre compte de tout ce qui se passe dans l’ame devient-il une préoccupation dominante, la curiosité de l’esprit finit par acquérir un tel empire, que la conscience s’émousse. Le bien et le mal s’égalisent en quelque sorte comme étant l’un et l’autre des objets d’un intérêt pareil. On se sait gré de se connaître si bien, on éprouve même une sorte de joie orgueilleuse et secrète à n’être pas la dupe de mobiles mauvais que l’on juge tout en