Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/269

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous fait agir est autre chose que l’idée que telle action est bonne, et la raison ne suffit pas pour fournir des motifs à la volonté. C’est là sans doute une condition misérable, mais cette misère est réelle ; la question n’est pas de décider ce que l’homme pourrait être, mais de fournir à l’homme tel qu’il est les secours qui lui sont nécessaires. Or, ces secours, le stoïcisme ne les offre pas ; il ne nous donne pas d’appui, parce qu’il méconnaît notre faiblesse ; « il est bon pour les forts, mais non pour les faibles, les pécheurs et les infirmes[1]. » Il est fait pour un homme imaginaire et abandonne l’homme réel à toutes les infirmités de sa nature. Quelle ressource encore attendre dans la souffrance, comme partage de l’humanité, de cette doctrine orgueilleuse ? Une triste et froide résignation est tout ce qu’elle nous enseigne ; mais cette résignation est encore une souffrance. Ce qu’il nous faut pour soulager la douleur, c’est un moyen de nous la faire accepter, d’obtenir de nous une adhésion libre, joyeuse même, aux intentions mystérieuses de la puissance qui nous afflige.

Ce secours cherché par la volonté défaillante, cette adhésion du cœur à la souffrance, supposent un sentiment commun : l’humilité, et se résument dans un seul acte : la prière. La prière et l’humilité, tels sont les caractères spéciaux et distinctifs de la doctrine chrétienne. La prière est à la fois un appel de la grace qui fortifie et un abandon filial de l’homme aux desseins, quels qu’ils soient, d’une providence miséricordieuse. Ainsi, lorsque Biran s’écrie : « Oh ! que j’ai besoin de prier ! » ou lorsqu’il trace dans son Journal les lignes suivantes : « Journée de bien-être, de calme et de raison, effet de la prière ! » il porte la sentence de condamnation du stoïcisme, car le stoïcien ne prie jamais.

Ce que le stoïcisme refuse, l’Évangile le promet, et c’est conduit par le besoin de la grace que M. de Biran s’avance vers Jésus-Christ. Est-il besoin de rappeler que ce ne sont pas là pour lui des conceptions théoriques et de simples vues de l’esprit ? Cette insuffisance de la volonté livrée à elle-même, il en a fait pour son compte la triste expérience. C’est lui qui a constaté que la vue la plus claire du devoir ne suffit pas à nous le faire accomplir, lui qui a senti que la doctrine des forts n’est pas celle qui nous convient, lui qui a éprouvé qu’une résignation sans confiance et sans amour ne saurait briser l’aiguillon de la douleur. Chacune des vérités qu’il découvre, il la conquiert au prix d’une espérance déçue, d’un froissement de cœur, d’une heure de découragement ou d’angoisse. Le raisonnement, les habitudes spéculatives sont des écueils plutôt que des secours dans le chemin sur lequel il s’avance ; c’est le cours naturel de la vie qui l’amène, par une voie lente et souvent douloureuse, aux promesses et aux espérances de la foi des chrétiens. Du reste, on serait dans l’erreur, si l’on supposait,

  1. Journal intime, 20 octobre 1819.