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M. de Biran. Cet élan doit être attribué en partie au mouvement intellectuel de la capitale, et en particulier aux réunions de la société philosophique où le penseur de Bergerac était jeté.

M. de Biran n’était plus dans la solitude de son département. Royer-Collard l’initiait de plus en plus à la philosophie écossaise, Stapfer lui faisait connaître Kant, M. Cousin enfin développait devant lui cette pensée ardente et vaste, cette vive intelligence des plus hauts problèmes de la science philosophique et de son histoire, qui commençaient à fixer si hautement l’attention sur les cours de la Sorbonne. Ces hommes d’élite appelaient M. de Biran leur maître ; ils le nommaient ainsi avec raison, car ils reconnaissaient en lui, au sein de la rénovation de la philosophie française, l’auteur du mouvement le plus spontané, de la seule pensée véritablement originale ; ils acceptaient en commun sa polémique victorieuse contre le sensualisme, et tenaient pour définitive la restauration des droits et du rôle de la volonté : utile et glorieux résultat des méditations solitaires du Périgord. Il est bon d’ajouter cependant que le maître devait à ses disciples des connaissances plus étendues, un sentiment plus distinct de l’ensemble des problèmes philosophiques, et par suite une vue plus claire des lacunes de sa théorie.

Cette théorie, nous l’avons vu, s’était renfermée exclusivement dans l’étude des élémens constitutifs de la nature humaine ; elle expliquait l’homme par le concours de deux forces différentes et le plus souvent opposées : la vie animale résultant des impressions externes et de l’état de l’organisme, la vie humaine don la volonté était le centre et l’essence. C’est à cette vie humaine, méconnue par le sensualisme, que M. de Biran rapportait l’origine des idées supra-sensibles ; là se trouvait le côté faible de sa doctrine. En admettant que l’exercice de la volonté soit la condition de la personnalité, de la conscience même, et par conséquent de la manifestation des idées à la conscience, il n’en résulte pas que ces idées soient produites par la volonté. Elles ne viennent pas non plus des élémens de la vie animale ; il faut donc leur chercher une autre origine. Lorsque je pense en particulier à l’infini, à l’éternel, il est manifeste, d’une part, que ces pensées ne procèdent pas des sens, et, d’une autre, que ce n’est pas moi qui les produis volontairement. L’éternité, l’infinitude, sont des conceptions qui me sont imposées, je n’en dispose pas, je ne les crée pas : — d’où viennent-elles ? À ces questions, la théorie de l’Essai ne fournissait pas de réponse satisfaisante ; c’est là qu’était la lacune, M. de Biran l’axait déjà précédemment entrevue. Les objections soulevées par les philosophes qui l’entouraient à Paris, l’examen plus attentif des grands systèmes métaphysiques et de la place qu’ils assignent à ce problème, achèvent de l’éclairer. La science de l’homme elle-même appelle une autre science. Quelle est la source des idées ? quelle est tout particulièrement la source des idées