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employer ce mot sacré dans une acception tout-à-fait générale que l’usage autorise, tel est le résultat assez ordinaire de l’épreuve de la vie pour tous ceux qui évitent le double écueil de la légèreté et du découragement. Cependant ce recours à Dieu, considéré à ce point de vue général, se présente sous plusieurs formes et peut correspondre à des états intérieurs très différens. Tel homme est frappé du contraste entre l’instabilité des choses humaines et l’éternelle majesté de la nature : cette vie générale, toujours la même, immuable, tandis que les hommes passent et que les générations s’écoulent, le remplit d’une admiration religieuse ; la force secrète qui préside à la fois aux mouvemens des astres et à la génération de l’insecte est pour lui le Dieu inconnu auquel il dresse un autel dans son ame. Un autre, plus habitué aux abstractions de la pensée, s’attache à la considération de ces lois générales qui président au cours des choses et des événemens ; il s’abîme dans la contemplation du plan qui se manifeste dans le monde, et c’est ce plan éternel, cette idée souveraine, également dominatrice dans la double sphère de la nature et de l’humanité, qu’il place sur le trône de l’univers. Il n’y a pas d’illusion à se faire à cet égard. Bien qu’il ne bâtisse plus de temples et n’élève plus de statues, l’ancien paganisme n’en subsiste pas moins au sein de nos sociétés modernes. Le panthéisme renouvelle sous des formes différentes, dans le cabinet des savans et dans la demeure de l’homme du peuple, les conceptions antiques ; l’adoration de la nature et le culte du destin n’appartiennent pas uniquement à l’histoire.

Des religions semblables diffèrent beaucoup sans doute de l’adoration du Dieu des chrétiens, mais il ne faut pas méconnaître qu’elles placent l’homme dans une condition autre que celle qui lui est faite, lorsque les petits événemens et les mesquines préoccupations de la vie journalière absorbent seuls ses pensées. Il n’est pas sans douceur de se perdre dans la contemplation de cette vie universelle, dont on sent les pulsations dans les battemens de son cœur. Il y a une joie mélancolique à suivre du regard le cours inexorable de la destinée, à s’incliner sans résistance devant cette puissance invincible sous laquelle on voit ses semblables se débattre vainement. Un ordre éternel, une loi immuable, si le cœur ne peut leur offrir que le tribut d’une résignation forcée, fournissent du moins à la pensée un objet fixe, une base qui ne varie pas, et deviennent ainsi la source d’une espèce de repos, de quelque chose qui ressemble à la paix.

Une telle disposition de pensée faisait pressentir dans l’ame du philosophe un changement que des circonstances favorables devaient bientôt précipiter. C’est en 1818 que ces besoins religieux se montrent avec une intensité particulière, c’est à la même époque qu’un élan nouveau et considérable se manifeste dans les idées philosophiques de