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s’y maintient : cette double observation est devenue le fondement du régime de leurs travaux hydrauliques. Au lieu de laisser les suintemens de leurs terres spongieuses se diriger capricieusement vers la mer, et former, si l’on peut ainsi parler, dans leurs digues autant de défauts de la cuirasse que d’égouts, ils les ont réunis dans des canaux intérieurs et fait dégorger en grandes masses sur les points choisis pour leurs établissemens maritimes. C’est ainsi que leurs digues ont opposé aux assauts de la mer des fronts partout également résistans, et que des ports vastes et sûrs se sont creusés au sein de plages sablonneuses. Ils ont fait mieux que d’étouffer l’hydre de Lerne ; ils l’ont asservie, disciplinée ; et de leur lutte contre la submersion est sortie la grandeur de leur patrie. Il n’y a ni tant de difficultés à vaincre, ni tant de gloire à conquérir sur la côte de Normandie ; mais les principes vrais et féconds sont applicables aux petites choses comme aux grandes, et si le Cotentin apprenait de la Hollande à disposer des eaux inférieures de manière à faciliter les dépôts de la mer partout où le domaine de l’agriculture s’en accroîtrait utilement, à les expulser partout où ils entravent la navigation, deux résultats importuns seraient atteints par un même moyen.

Le havre de Regnéville, situé à dix milles au nord de Granville, est le premier point qui s’offre à la réalisation de ce système d’amélioration : ce havre est le port de Coutances. Formé par l’embouchure de la Sienne, il s’ouvre droit au sud dans un repli de la côte et remonte, en décrivant un demi-cercle de huit kilomètres, jusques au pont de la Roque, où il reçoit les eaux de la Soulle. Il fut un temps où, libre et il était accessible à toute marée, et l’avantage d’une forte position militaire dans un pareil voisinage fut sans doute ce qui détermina le choix de l’emplacement des Castra Constantia de Constance Chlore ; mais l’exhaussement du fond n’en permet plus l’entrée aux bâtimens de 2 à 3 mètres de tirant d’eau qu’aux marées des syzygies. L’échouage le plus fréquenté n’est plus même dans cette courbe que décrit la Sienne avant de se perdre dans la mer ; il est à l’entrée du havre, sous les murs de Regnéville, au débouché du petit ruisseau de Montmartin, et, pour n’y rien perdre d’une place trop étroite, les pilotes y rangent les navires dans l’ordre de leur calaison. Plusieurs roches couvrent et découvrent aux abords du havre, et, comme par les vents d’aval la mer y est affreuse, il est souvent imprudent de chercher à y pénétrer sans pilote.

La Soulle est canalisée sur une longueur de 6,500 mètres, de son embouchure au pied du coteau qui couronne Coutances. Ces travaux, terminés en 1839, ont coûté 638,000 francs ; ils étaient projetés dès la fin du XVIIe siècle, et l’on voulait alors faire remonter la navigation maritime à Coutances. L’état actuel du havre nous a forcés d’être plus