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Parvenu au terme des études qu’il pouvait faire dans sa province, le jeune de Biran entra dans les gardes-du-corps en 1785. À cette époque, l’avenir était déjà menaçant. La royauté n’avait pas cependant perdu tout son éclat, et les salons de la capitale réunissaient encore une société aimable et frivole. Le jeune garde-du-corps se produisit dans le monde ; il était fait pour y réussir. Une figure charmante, un esprit aimable, le goût et le talent de la musique, étaient pour lui des élémens de succès ; mais ce succès pouvait encore mieux s’expliquer par son caractère. Cette même faiblesse d’organisation qui lui faisait subir l’influence des variations de la température tendait aussi à le placer sous la dépendance des personnes avec lesquelles il entretenait des rapports. Il ne pouvait supporter sans peine des marques de froideur ; un regard hostile le troublait, la pensée d’être en butte à des sentimens haineux bouleversait son ame. La bienveillance d’autrui était comme une atmosphère en dehors de laquelle sa respiration morale devenait pénible. Aussi était-il porté à prévenir chacun de ceux qu’il rencontrait, à se porter sur le terrain où il se trouverait en sympathie avec ses interlocuteurs, à se faire tout à tous, pour que l’affection générale le plaçât dans le milieu que sa nature lui rendait nécessaire. On comprend qu’une disposition pareille contribue à faire trouver dans le monde un accueil favorable. Cette disposition chez M. de Biran s’unissait à une vraie bonté de cœur ; tout contribuait donc à le rendre d’une parfaite obligeance dans les relations sociales. Il devait à la nature un besoin de plaire qui coûta par la suite plus d’un gémissement au philosophe. Il dut à la fréquentation du monde cette politesse exquise, cette parfaite urbanité qui distinguèrent la société française dans des temps qui ne sont plus. Au sein de la civilisation nouvelle qui sortit du chaos révolutionnaire, Maine de Biran demeura, pour l’amabilité des formes et l’élégance des manières, l’un des représentans de la civilisation détruite ; l’étranger même qui ne le voyait qu’en passant en faisait la remarque.

L’élève des doctrinaires avait passé sans transition des études de sa jeunesse à une période de dissipation assez complète. L’enseignement religieux qu’il dut recevoir de ses instituteurs paraît n’avoir laissé aucune trace dans son ame ; il ne semble pas même, à en juger par ses premiers écrits, que les vérités chrétiennes eussent conservé une place dans sa mémoire. En l’absence de toute conviction arrêtée, il n’avait d’autre préservatif contre les écarts des passions qu’un goût naturel pour les convenances et un certain instinct d’honnêteté. Cette vie d’étourdissement ne fut pas de longue durée : l’an 89 arriva. Aux journées des 5 et 6 octobre, M. de Biran eut le bras effleuré par une balle, et, quelque temps après le licenciement de son corps, il se décida à regagner ses foyers. Pendant son séjour à Paris, la mort lui avait enlevé