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aux faits qui se produisent sur la scène intérieure de la conscience, il n’accorda jamais qu’un regard assez distrait à ses destinées et même à ses actes. Ce qu’il éprouvait, et non ce qu’il faisait, était à ses yeux la grande affaire de la vie. La tâche du biographe n’est donc pas ici celle d’un narrateur ordinaire : loin de se borner à raconter les faits, il faut qu’il s’applique avant tout à reproduire des sentimens et des pensées, à exprimer ces mouvemens du cœur, ces besoins de la conscience qui constituent la vie intérieure et secrète d’une ame humaine. Les difficultés d’une pareille tâche seraient presque insurmontables, si M. de Biran ne les avait d’avance aplanies. C’est grace aux études de M. de Biran sur lui-même, restées ignorées jusqu’à ce jour, qu’il devient possible d’interroger aujourd’hui de nouveau la pensée du philosophe et de découvrir dans les plus intimes profondeurs de son ame quelques aspects inconnus.


I

François-Pierre Gonthier Maine de Biran, fils d’un médecin qui pratiquait son art avec quelque distinction, naquit à Bergerac le 29 novembre 1766. Après la première éducation reçue dans la maison paternelle, il fut envoyé à Périgueux pour y suivre les classes dirigées par les doctrinaires. Tout ce qu’on sait de son enfance, c’est qu’il parcourut le champ des études avec facilité, et fit preuve d’une aptitude marquée pour les mathématiques. Il avait hérité de ses parens une constitution délicate et un de ces tempéramens nerveux caractérisés d’ordinaire par la vivacité et la mobilité des impressions. Plus tard, on le vit toujours soumis aux influences du dehors. L’état de son ame variait avec le degré du thermomètre ou la direction du vent. Le Journal intime, ce recueil de confidences inédites qui sert de base à notre appréciation, renferme souvent des notes très détaillées sur la température, l’état du ciel, l’humidité ou la sécheresse de l’atmosphère ; vous croiriez avoir affaire à un physicien. Rien cependant de plus éloigné des goûts et des habitudes de l’auteur que l’observation scientifique des faits de la nature. Si ces faits attirent ainsi son attention, c’est uniquement par leur rapport avec ses impressions personnelles. Un temps humide ou sec, un air agité ou tranquille, se traduisent immédiatement en effets dans telle disposition particulière de son être intellectuel et moral. Chaque saison, chaque état de l’atmosphère le retrouve triste ou gai, confiant ou découragé, enclin à des méditations paisibles ou attiré par les distractions du monde.

On ne peut contester que ce tempérament délicat n’ait exercé une très vive influence sur la direction des études de M. de Biran. Une constitution si mobile et si faible contribua pour beaucoup à diriger son