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l’admire en nous et l’envie autant peut-être que nous envions et que nous admirons sa puissance calme et son imposante stabilité. En dépit de sa raison, nous parvenons à lui plaire, et, malgré son grand bon sens, elle est jalouse de nous. Je sais bien que cette assertion fera rire à Londres, et que, lorsque cette pensée se produit, on feint de ne la point prendre au sérieux ; mais si nous ne plaisons pas à l’Angleterre, et si elle n’est pas jalouse de nous, pourquoi nous imite-t-elle ? pourquoi vient-elle demander à notre industrie des modèles de goût, et pourquoi reconnaît-elle, en s’y soumettant aussitôt, la supériorité de notre esprit et de notre imagination ? Or, l’Angleterre nous imite, qui le nierait devant l’exposition actuelle ? J’ajouterai qu’elle nous imite assez mal, qu’elle fait fausse route en nous poursuivant, et qu’elle y perd plus qu’elle n’y gagne. Cette année, pour cette circonstance exceptionnelle, elle a tenté en ce sens un effort malheureux. Sûre de sa puissance et de la supériorité commerciale qu’elle lui doit, elle a voulu être en toutes choses la première, et elle a presque négligé ses avantages incontestés pour nous vaincre sur notre terrain. On avait beaucoup parlé des artistes de France, de l’éclat sans pareil qu’ils savaient donner à notre industrie de luxe ; les Anglais ont eu peur de notre goût et de notre savoir ; ils ont craint d’être trop simples. La pensée leur est venue que la gravité pouvait être prise pour de la lourdeur ; ils se sont mis en frais, et, pour nous singer en nous exagérant, ils ont forcé leur naturel, ils ont abandonné leurs coutumes et leurs traditions excellentes. On vantait particulièrement l’argenterie anglaise, si élégante, si riche dans sa simplicité massive : ils ont exposé une argenterie nouvelle, contournée, surchargée de ciselures, où l’on surprend partout l’imitation maladroite de nos orfèvres ; les voitures de Londres, si commodes, si douces, si durables, étaient renommées pour leur coupe sévère : l’exposition est garnie de berlines incroyables, doublées de rose, peintes en couleur de chair avec des fleurs d’oranger sur les panneaux, de coupés ronds pareils à des coucous endimanchés, de phaétons blancs en forme de colimaçons, de landaus qui ressemblent à des coquilles. Nous savons tous combien les meubles des Anglais sont comfortables et solides ; ils ont fait cette année des pianos en nacre de perle, des sièges d’ébène sur lesquels on ne peut s’asseoir, des canapés impossibles et bons pour des poupées. Notre ganterie est célèbre, et nos bottiers sont sans rivaux ; les Anglais, voulant aussi nous surpasser en ce genre, ont renoncé à leurs bons gants de coachmen, à leurs chaussures inusables : ils ont fabriqué des gants roses, orange, vert pomme, et des bottes aiguës sur les tiges desquelles ils ont brodé en couleur le portrait du prince Albert. Les harnais et les selles de Londres sont d’une excellence et d’une simplicité qui nous désespèrent à Paris ; pour l’exposition, les meilleurs selliers du royaume-uni ont mis leur soin