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fait construire des palais. Propriétaire des mines, il loge dans une pierre précieuse comme un marin dans son navire. Ou je me trompe fort, ou ce sont là des idées asiatiques qui ne passeront jamais, par exemple, par la tête des Américains du Nord, quoique le soleil du Massachusetts vaille bien celui de la Lithuanie ou de la Finlande. En doutez-vous ? Allons plutôt aux États-Unis une seconde fois, si ce mode de voyage ne vous fatigue pas trop. Là, dans cette exposition, où l’agréable est sacrifié toujours à l’utile, tout est noir, froid et sombre. Pas un ornement, pas une ciselure ne relève cet étalage correct. Le caprice en est banni comme un crime ; on y sent une odeur mêlée de fer et de goudron, de forge et de navire. Un enfant devinerait à son œuvre cette nation de marins et de défricheurs, cette Angleterre démocratique et républicaine.

De tous côtés des chronomètres, des compas, des télescopes, des cartes de marine, des armes de guerre, des haches, des pioches, tous les ustensiles dont on pourrait entourer la devise ense et aratro ; puis, pour représenter la fièvre commerciale, l’amour du lucre, des coffres-forts en fer avec les serrures les plus étrangement compliquées. L’art, qu’est-ce que l’art pour ces voyageurs éternels et infatigables ? Que leur importe l’idéal ? Les jours sont-ils assez longs pour les donner aux songes, et quelle distance faut-il compter entre la paresse et la rêverie ? Non, si l’on veut des portraits, ou même des paysages, on les fera en courant au daguerréotype ; n’est-ce pas une façon de peindre plus exacte et plus mathématique ? Et, raisonnant ainsi, les Américains se sont adonnés à la chambre noire, au nitrate d’argent, et ils ont envoyé des plaques superbes, il faut le dire, et qui doivent ravir tous les abonnés du journal la Lumière. Rien ne leur a semblé assez difficile ; la chute du Niagara elle-même, ils sont parvenus à l’immobiliser, ou à la saisir au vol ; ils nous la montrent prise sur le fait. Enfin, leur exposition complétée, ils se sont étonnés eux-mêmes de leur gravité. Ils ont compris qu’il n’y avait pas en tout cela le plus petit mot pour rire, et, prenant en pitié la frivolité de l’Europe, ils ont voulu montrer que le badinage ne leur était pas inconnu ; en conséquence, ils ont rempli quatre armoires de petites poupées ridicules, de caniches en carton et d’oiseaux empaillés. Tel a été le contingent de leur gaieté, du moins ils l’ont cru, car ils se trompaient. Le côté plaisant de leur caractère s’était révélé à leur insu, et nulle part dans le Palais de Cristal on ne rit de meilleur cœur qu’en face des excentricités, fort gravement étalées, qui sont sorties du génie américain. J’en décrirai quelques-unes. Là d’abord est une caisse de bois de la grandeur d’une malle ordinaire ; dans cette caisse, on trouve une maison entière en caoutchouc se dressant à volonté sur une charpente très légère, qui se plie à l’aide d’ingénieuses charnières, et ne tient pas plus de place qu’un