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Enfin, les 13 et 14 septembre 1803, les Anglais attaquèrent Granville avec une frégate, deux bricks et cinq bombardes : un grand calme s’étant fait pendant la seconde journée, huit bateaux plats portant du 24 sortirent contre eux à l’aviron et les firent reculer ; la frégate talonna même sur le banc de Tombelaine, et, quand on la vit se pencher, les soldats et les matelots se précipitèrent des quais pour l’enlever à l’abordage : malheureusement, la laisse de basse mer était éloignée, et, pendant qu’on y traînait des canots, la marée et la brise s’élevant remirent la frégate à flot. Les Anglais tirèrent cette fois au-delà de cinq cents bombes : ils tuèrent un homme et en blessèrent trois. C’est le dernier trait de l’histoire militaire de Granville. Les nouvelles attaques que l’avenir peut réserver à la place la trouveront munie de fortifications telles que lui en souhaitait Vauban, et le génie militaire a su, par d’ingénieuses combinaisons, les faire concourir à l’embellissement de la ville en même temps qu’à sa défense.

Quant au port, naguère bordé de quais étroits et tortueux, protégé par une jetée telle que pouvaient la construire, il y a quatre cents ans, de simples pêcheurs, il est aujourd’hui couvert par un môle en granit de 584 mètres de longueur, dont la puissance peut défier pendant une longue suite de siècles les fureurs de l’Océan ; les vieux quais disparaissent empâtés dans la masse des nouveaux ; tout l’échouage est approfondi, et un bassin à flot est en construction sur un emplacement qui ne vaut malheureusement pas celui que choisissait Vauban. Ces travaux, entrepris sous la restauration, se sont continués presque sans interruption jusqu’à ce jour. Il restera, pour compléter l’établissement commercial de Granville, à ramener au niveau du port l’entrepôt des marchandises qui, par une singularité que rien n’explique, est sur la crête du roc, à 34 mètres au-dessus de la mer, précisément au point le plus mal choisi pour le recevoir.

La population de Granville est, comme celle d’Arles, renommée par la beauté de ses femmes et distincte de toutes celles qui l’avoisinent. Ses caractères physiques, ses mœurs et jusqu’à son simple et gracieux costume, tout révèle en elle une différence d’origine. Les yeux bleus avec des cheveux noirs, le nez droit des Hellènes, traits peu rares à Granville, sembleraient annoncer un mélange de sang méditerranéen, et en effet, de toutes les traditions obscures qui se rapportent à ce sujet, la moins invraisemblable est celle qui fait descendre cette population des Normands de Robert Guiscard et de femmes qu’ils auraient ramenées de la Grande-Grèce et de la Sicile. Ce croisement expliquerait du moins comment la grace du type grec s’allie souvent ici avec la carrure du type normand. L’aisance avec laquelle des Granvillaises sorties des conditions les plus humbles savent prendre possession d’un rang élevé dans la société est assurément un indice de la noblesse de