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droit civil, on ne daigne plus les octroyer ; on leur oppose, avec une moquerie hautaine, le préjugé, l’égoïsme ou l’orgueil aristocratique ; on affecte de méconnaître le caractère de ceux qui les réclament, et les duels politiques témoignent cruellement de l’âpreté des passions en jeu. Le baron de Lerchenfeld tombait l’autre jour sur le terrain, grièvement blessé par la balle du prince de Wrede. Combien de temps la majorité de la seconde chambre n’a-t-elle pas été l’objet des sarcasmes de tous les démocrates, un obstacle et une antipathie pour tous ceux dont le libéralisme s’échauffait outre mesure dans la question de l’unité allemande, et qui, même en Bavière, s’honoraient de vouloir une petite Allemagne avec une grande Prusse, selon les termes sacramentels des défuntes ambitions prussiennes ! Les hauts tories bavarois ne voient plus maintenant que des rouges dans cette honnête majorité, qui a donné son approbation et son concours à la diplomatie certes peu révolutionnaire de M. Von der Pfordten.

Si l’on en croyait des rumeurs qui continuent à circuler dans les feuilles allemandes, M. de Schwarzenberg aurait lui-même quelque peine à se maintenir cri Autriche, et derrière la réaction dont il a été l’énergique instrument il y en aurait une autre qui trouverait celle-là beaucoup trop imbue d’idées modernes, et travaillerait à supplanter le ministère auquel on doit pourtant la renaissance de l’Autriche. Il n’est point à douter que la centralisation méditée par le prince Schwarzenberg ne soit par elle-même un principe bien abstrait et bien absolu pour le gouvernement d’une monarchie composée de tant d’états réfractaires. Nous n’avons pas improvisé notre unité française ; cette précieuse conquête nous a demandé des siècles, et cependant nos provinces se touchaient de plus près, et ne se heurtaient pas avec autant de répugnances que les nationalités rangées aujourd’hui sous la loi du cabinet de Vienne. Il y a donc plus d’une objection contre les idées unitaires du prince Schwarzenberg au point de vue même du gouvernement intérieur de la monarchie, comme il y en a beaucoup aussi du point de vue plus général des relations extérieures, lorsque, par une conséquence très directe de cette politique unitaire, il veut transporter en bloc l’Autriche ainsi centralisée dans la confédération germanique. Il ne serait pas impossible que l’unitarisme autrichien ne fût un contre-coup de l’unitarisme germanique, et que l’Autriche, un instant ébranlée par les ambitions allemandes, ne poussât la revanche à bout en leur faisant concurrence dans la même voie par une sorte d’émulation plus fiévreuse que raisonnable.

On conçoit, par exemple, que la Hongrie ne puisse point fort aisément s’assimiler aux pays du haut Danube, et les Magyares, les Secklers, les Slovaques, les Croates, ne se prêteraient point tout seuls au même régime dont s’accommoderont bien les populations de Linz, de Salzbourg ou d’Inspruck. Il y a. là une de ces luttes contre la réalité qu’il n’est jamais prudent de pousser trop loin. Les Hongrois restés fidèles à l’Autriche ne manquent point certainement à cette fidélité qu’ils lui ont gardée dans des temps plus difficiles, lorsqu’ils réclament contre l’absorption qui ne laisse plus à leur pays d’existence distincte et l’enveloppe dans tout l’ensemble de la monarchie. On a beau dire que l’empereur n’a pas une armée tcheke, une armée italienne, une armée allemande ou hongroise, mais seulement une armée autrichienne ; les corps et les régimens conservent jusque dans l’uniformité du service militaire ces diversités nationales que la charte du 4 mars a cru pouvoir abolir en Autriche.