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à vrai dire, assez rares), lorsque les représentans institués du pays paraissent commettre quelque faute qui doive tourner à leur préjudice, et peut-être à celui de l’institution, ces habiles conservateurs en ont l’air tout de suite trop heureux. — Nos députés nous font de mauvaise besogne, laissez-les faire, le peuple saura la corriger ! Et c’est ainsi que non pas seulement d’un bord, mais de presque tous, on encourage avec une funeste complaisance la grande idolâtrie de ce temps ; c’est ainsi que pour le besoin de chaque cause en particulier l’on ajoute un hommage de plus à tous ceux qui se confondent dans le culte de la grande erreur.

Nous voulons parler du culte qu’on rend aujourd’hui presque machinalement, tant l’esprit, par malheur, s’y est façonné, à cette force anonyme et irrésistible que l’on croit apercevoir au fond des multitudes, pour peu qu’on se les figure sans cadre et sans règle. La multitude réunie en assemblées légales, délibérant et votant selon les limites des capacités, c’est la nation organisée à qui tout respect est dû ; la multitude représentée sur la scène politique par ses mandataires constitutionnels, c’est l’état fonctionnant dans sa légitimité. En dehors de ces voies positives, de ces procédés réguliers et réfléchis, la multitude n’est rien que tyrannie et absurdité, vis sine consilio. Et cependant, même à présent qu’il n’y a plus, pour ainsi dire, de pays légal, et que le suffrage universel a, dans sa plus large acception, convié la multitude à former elle-même le pouvoir public, le pouvoir à peine formé, on n’en prétend pas moins le subordonner toujours à l’obscure et vague volonté des masses d’où il est sorti, comme si ces masses, une fois qu’elles avaient cessé d’être constituantes, une fois qu’elles n’agissaient plus dans le cercle rigoureux où la loi, quelle qu’elle soit, renferme leur action, gardaient encore par-devers elles une souveraineté mystérieuse. C’est devenu là maintenant plus que jamais l’expédient accoutumé des vanités aigries et des ambitions aux abois. On a perdu la partie, ou l’on craint de la perdre sur le terrain légal ; on entreprend de faire campagne sur un autre. On passe dédaigneusement par-dessus les institutions existantes sous prétexte de se retremper et de puiser des mérites incomparables à la source même d’où elles émanent : on en appelle au peuple, et l’on méconnaît sans scrupule ce principe essentiel de toute société normale, que le peuple n’existe point en dehors des institutions. On amoindrit, on retire le nerf de ces institutions ainsi ébranlées en répétant qu’on n’y trouve plus le peuple, et dans ce pêle-mêle de la foule indéfinie où l’on s’imaginait le trouver, ce n’est plus lui, — ce sont les factions que l’on rencontre. Aussi ceux qui affectent de ne compter qu’avec ce peuple imaginaire n’arrivent jamais, quelquefois même sans le vouloir, qu’à détruire les institutions par les factions. De quelque couleur qu’ils soient, il faut les nommer des césariens.

Nous qui ne sommes césariens d’aucune couleur, nous ne nous sentons point aussi rassurés en l’occurrence présente que tels et tels qui jurent que l’inclination au moins médiocre du parlement pour la révision ne leur donne aucun souci, parce que les mauvais vouloirs parlementaires ne pèseront pas une once dans la balance du dernier jugement. Profondément attachés au pouvoir représentatif, nous avons peur des aventures qui le menacent, et c’est parce que nous le croyons un rouage essentiel dans la, vie de la France, que nous redoutons l’isolement où il tomberait bientôt en ne communiquant pas assez avec