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sur ces cibles vivantes. « il fut tellement battu, que sa maison a été brûlée ; » c’est là un dicton kabyle, et il explique la nécessité où l’on est de livrer à la flamme les beaux villages que l’on rencontre. Du bivouac de Kanar, établi dans une vallée magnifique, malgré la pluie battante et les coups de feu kabyles, la cavalerie alla, de son côté, brûler plusieurs de ces villages.

Le 16 mai, après cinq jours d’une fusillade continuelle, nous étions arrivés sous les murs de Djidgelly, et le camp s’établissait non loin de la ville, dans une riante plaine. La première partie de l’œuvre était accomplie. Nous allions maintenant prendre à revers toutes ces confédérations, en ayant la ville pour base de nos approvisionnemens, et pousser de rudes chasses dans les montagnes. Djidgelly, qui eut l’honneur d’être prise par le duc de Beaufort et de voir Duquesne s’occuper de son port et proposer à Louis XIV d’y fonder un établissement maritime, était l’un des principaux chantiers de construction de la marine algérienne. Le bois provenait des magnifiques forêts des Beni-Fourghal. La ville, petite, bien tenue, propre comme une bourgade flamande, est un triste séjour, car, constamment bloquée, la garnison n’a pour se distraire que la vue du bateau à vapeur qui, de temps à*autre, mouille sur sa rade. La venue de la colonne avait répandu une grande animation. Le Titan, portant le général Pélissier, y arrivait en même temps que nous, et le gouverneur-général, réunissant les officiers, se fit un plaisir et un devoir de leur adresser les complimens que méritait leur brillante valeur. Le général Pélissier assistait le lendemain avec la colonne entière à la messe que l’abbé Parabère célébrait dans le camp. Tous ces soldats venaient là volontairement, rien ne les y forçait ; mais, qu’on le sache bien, le danger trempe l’ame, et lui fait comprendre qu’au-delà de la chair et du temps, il est encore autre chose. L’affection, l’épanchement et la prière sont un besoin ; l’hommage rendu à Dieu donne de la force. On ne raisonne point tout cela, on le sent, et dès-lors, là-bas, on le fait, car s’il est un reproche que l’on puisse adresser à cette armée, ce n’est point certainement le reproche d’hypocrisie.

La veille, ces officiers et ces soldats, qui s’inclinaient alors devant un modeste autel, entouraient de leurs adieux la tombe creusée pour le commandant Valicon. Son corps, pieusement rapporté par son fidèle régiment, reposait à l’abri du drapeau pour lequel il était mort, et les physionomies de tous ces braves gens respiraient plus vivement encore le dédain de la vie et l’ardeur pour la lutte, lorsque leurs fusils eurent salué d’un dernier salut la fosse du chef qui les commandait naguère. Tel est le sentiment que fait toujours éprouver à l’armée la mort d’un camarade, d’un ami ; et n’allez point accuser les soldats d’insensibilité