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son plus vieil ami, le général Bosquet ; l’objet de cette inquiétude, c’étaient son enfant et sa jeune femme qu’il laissait sur le point de devenir mère encore. M. Valicon avait son épée pour toute fortune, et ce fut peut-être l’unique moment où il en éprouva un regret[1].

Les positions, au départ du bivouac, avaient été occupées d’avance. Le général Luzy frayait la route ; la brigade Bosquet était d’arrière-garde. Une bonne nuit avait remis tout le monde du malaise de la veille, et nos soldats, en belle humeur, faisaient gaiement le coup de feu. Le terrain, du reste, offrait des difficultés moins grandes ; on redescendit donc la vallée, laissant un peu sur la droite le lieu où périt le bey Osman. Là, dit-on, à la place même où il fut englouti, paraissent souvent deux flammes ; aussi les Kabyles s’en écartent-ils avec terreur. Sur le flanc gauche, la fusillade devenait très vive ; le commandant Meyer, de la légion étrangère, brave soldat qui avait ses vingt ans d’Afrique, et faisait sa dernière campagne avant de prendre sa retraite, n’entend plus le feu de deux compagnies occupant une position de gauche. On se battait donc à la baïonnette ; il court les dégager avec le reste du bataillon. Ces compagnies tenaient comme des sangliers acculés ; trois fois elles avaient arraché un de leurs officiers des mains des Kabyles ; ceux-ci se ruaient toujours comme sur une proie qui leur était due. Redoutant les zouaves et les chasseurs d’Orléans, ils croyaient que ces soldats portant l’uniforme de la ligne étaient aussi de nouveaux débarqués, comme ceux du 10e, et qu’ils auraient la même bonne fortune que la veille. Lorsque le commandant Meyer arriva, les soldats de la légion avaient déjà prouvé à l’ennemi qu’il comptait sans son hôte. Le commandant continua sa marche le long de la crête ; mais il dut demander des cacolets pour ramener ses blessés. L’adjudant du bataillon, envoyé par le commandant Meyer, traversa seul le bois. « Avertissez le général Luzy, lui avait dit le commandant, que je tiendrai vingt-quatre heures s’il est nécessaire, mais qu’il me faut du renfort pour descendre. » Le général envoya les mulets avec des compagnies du 16e et des chasseurs d’Orléans. Déjà l’on sentait la brise de mer, et le lendemain 15, quand les yeux se reposèrent sur l’immense ligne bleue, tout le monde éprouva un sentiment de bien-être. L’étouffement de ces gorges avait disparu ; on avait de l’air, de l’espace au moins ; l’œil n’avait plus besoin d’être toujours en quête pour chercher derrière chaque arbre, chaque roche, l’ennemi embusqué. On marchait au bord de la mer, le flanc droit protégé par les chasseurs d’Orléans, qui brûlaient les villages des Kabyles à leur barbe, faisant des prodiges d’adresse

  1. M. le président de la, république, informé de la situation de la veuve du commandant Vidicon, a veillé à ce que son avenir fût assuré.