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ainsi que dans cette guerre l’action individuelle joue un grand rôle. Tout est et doit être subordonné dans les différens degrés à l’action du chef ; mais, l’ensemble des ordres une fois connu, l’intelligence de chacun a beau jeu. La guerre de montagne, en Afrique, ressemble assez à ces pièces où les situations sont indiquées par l’auteur, le canevas et les caractères tracés, mais où l’acteur est lui-même chargé de composer le dialogue. Il y a parfois des momens où le dialogue est un peu vif ; il en fut ainsi à l’arrière-garde ce jour-là, surtout dans l’après-midi, après l’accident des compagnies du 10e de ligne. Comme l’on attendait des cacolets du convoi (car ceux de service avaient au complet leur charge de mutilés), le colonel Espinasse donna son cheval à un blessé ; plus tard même, pendant quelques instans, il en portait un sur ses épaules.

Les troupes se battaient bien, mais il n’y avait pas l’entrain du jour précédent. Quand le soldat voit son ombre grandir et que depuis le matin il se bat dans un pareil chaos de bois et de montagnes, la fatigue de l’ame vient parfois se joindre à la fatigue du corps et produit un malaise singulier. L’affaire des compagnies du 10e était triste : ces têtes de vos camarades, de ceux à qui vous parliez il y a quelques heures, brandies par les Kabyles au bout de longs bâtons, les yeux roulans, la langue pendante pleine de sang, frappaient l’imagination, assombrissaient bien des physionomies. Le soldat sait qu’il doit mourir un jour ou l’autre, peu lui importe, c’est son lot ; mais rien ne le tourmente autant que l’idée d’avoir la tête coupée.

À la nuit, les bataillons d’avant-garde s’établissaient an bivouac, et le convoi commentait seulement à déboucher de l’étroit chemin où il était impossible de passer deux de front. La fusillade roulait toujours à l’arrière-garde. Il n’y avait point de lune, tout était sombre. Le général Saint-Arnaud venait de placer les postes ; il se tenait près d’un feu d’oliviers pendant le défilé du convoi ; les officiers d’état-major MM. de Vaubert et de Clermont-Tonnerre étaient près de lui, attendant ses ordres, quand tout à coup, de la queue du convoi à la tête, tout le bruit que l’arrière-garde est coupée. Deux mille hommes séparés de la colonne,… la circonstance était grave. Le général Saint-Arnaud se rend compte de toutes les chances. Par ces chemins affreux, un officier mettrait trop de temps pour rapporter des nouvelles ; s’il y avait un accident, il fallait le réparer sur-le-champ. L’ordre est envoyé aux zouaves de reprendre les armes.

Ayez seulement une demi-heure de repos après une longue route, et la fatigue se fait sentir plus accablante. Les zouaves étaient harassés, car dans la journée on les avait employés à toute besogne. C’était le moment où les mollets, selon leur langage, sont allés à Rome, dicton qui vient sans doute du proverbe des cloches de la semaine sainte. Au