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I

Le port de Granville est le foyer des trois quarts de ce mouvement maritime, et il doit cet avantage aux travaux des hommes bien plus qu’aux dons de la nature. Au nord de la baie du Mont-Saint-Michel, la roche tertiaire qui constitue la côte s’avance brusquement comme un bastion de deux kilomètres de saillie, et de la pointe se détache dans la direction de l’ouest-sud-ouest une étroite et haute presqu’île de 1,300 mètres de longueur, opposant au nord une escarpe verticale. Granville occupe la croupe et la pente méridionale de cette roche ; les faubourgs sont étagés à l’est en regard de la ville ; le port, défendu du large par un puissant môle coudé, semble être l’arène de ce cirque élevé par la nature.

Au commencement du XVe siècle, ce « roiché presque tout environné de mer n’avoit aucun édifice ou habitacion, forz seulement une église paroissiale très dévote, fondée en l’honneur et révérence de Nostre-Dame, où advenoient souvent beaux et appartins miracles[1], » et la population était répartie entre « plusieurs villages, bourgades et hameaulx appartenans à la dicte paroisse. » Depuis la bataille d’Azincourt (1415), « nos anciens ennemiz et adversaires les Anglais détenoient et occupoient grant partie de nostre payz et duchié de Normandie. » Thomas Scales, l’un des capitaines de Henri VI, s’établit et se fortifia en 1437 sur le roc de Granville, « comme en la plus forte et adventaigeuse place et clef du payz par mer et par terre que l’on put choisir afin de tenir ledict payz de Normandie et les marches voisines en sujeccion ; » on lui attribue la coupure encore nommée tranchée aux Anglais de l’isthme rocheuse par laquelle la presqu’île se rattache à la terre ferme. Cependant Louis d’Estouteville, gouverneur du Mont Saint-Michel, avait a Granville des amis qui l’introduisirent en 1441 dans la place, et il en chassa les Anglais. « À ce que noz ennemiz ne trouvassent manière par puissance, par emblée ne aultrement de la mettre hors noz mains et pour obvier aux dommaiges et inconvéniens qui pourraient ensuir au royaulme, Charles VII fit emparer et fortiffier la dicte place, et icelle feit pourvoir de gens de guerre, de vivres, d’artillerie et aultres choses propices. » Ce n’était point assez : « Jehan de Lorraine, capitaine de la dicte place, les gens de guerre formant la garnison, les manans et habitans feirent remontrance au roy que Grantville avoit petit nombre de marchans et gelas de mestier, et que pour la garde et seureté d’icelle étoit expédient et nécessaire y en tenir et avoir plus grant quantité ; que aultrement ne pourroit la

  1. Charte de Charles VII, donnée à Chinon en mars 1445.