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de cette position, l’avait choisie pour théâtre du premier combat (on le voyait déjà construire des talus de terre, des obstacles de pierre sèche), qu’il fallait faire défiler un par un le long convoi des bêtes de somme. Le général, après avoir examiné le terrain avec soin dans tous ses détails et s’être rendu un compte exact des difficultés, se plaça au centre du cercle formé par les chefs de corps : il expliqua les dispositions qu’il venait d’arrêter dans son esprit, indiquant du doigt la place où chacun devait opérer, écoutant les observations qui lui étaient soumises. La brigade Bosquet balaierait le piton de droite, le général Luzy le piton de gauche ; les deux brigades devaient tourner les Kabyles par la crête. Le général Saint-Arnaud marchait de sa personne droit vers le col, ayant une réserve toute prête pour appuyer celle des deux colonnes qui aurait besoin de secours. À chacune quatre-vingts chevaux étaient donnés, afin de profiter des petits plateaux qui se trouvaient par intervalle dans les escarpemens. Une cavalerie aussi leste que celle d’Afrique pouvait rendre des services même dans un terrain semblable. Derrière cet éventail de feu, le convoi, confié à la garde du colonel Jamin, qui commanderait l’arrière-garde, s’avancerait dans le sentier nettoyé par les colonnes d’attaque. La mission n’en était pas moins difficile et importante, car, selon toutes probabilités, une partie des Kabyles refoulés des sommets se rejetterait, en se coulant le long des ravines, sur l’extrême arrière-garde. Tous ces gens de guerre discutant à cheval offraient un spectacle simple et grand. Les paroles étaient brèves, comme sont les paroles d’hommes dont le corps portera l’heure d’après la responsabilité de la discussion. C’étaient des pères de famille cherchant à dérober à la mort le plus grand nombre possible de leurs enfans. — Ben-Asdin et Bou-Renan, les deux chefs du Zouargha, assistaient à la conférence de nos généraux. Ce pays offre en effet le singulier contraste de grands feudataires rappelant les ducs de Bourgogne et de Bretagne de notre ancienne France, et entourant une contrée dont toutes les institutions sont essentiellement républicaines dans la plus large acception du mot. Ben-Asdin, pendant toute la conférence, resta triste et silencieux : il doutait du succès. Bou-Renan, grand soldat bien découplé, homme de cheval, sauvage, leste et hardi, avait au contraire jugé d’un coup d’œil ceux qui allaient marcher au combat et calculé les chances de réussite : tout en lui respirait la confiance. Il se croyait déjà chef des populations nouvellement soumises. Quant aux généraux français, ils avaient plus d’une fois vu le danger, et ils étaient habitués à le dominer par cette union intelligente qui fait des efforts de tous un seul effort que guide la pensée d’un seul homme.

Au retour, lorsque le bivouac eut été porté plus en avant, à Ferdj-Beïnem, chacun prit du repos et se prépara ainsi aux luttes promises pour le lendemain. À quatre heures du matin, la musique des régimens