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(Satan) ; ainsi que les animaux, leur crâne nu brave le soleil, et durant la neige de l’hiver ils secouent la tête pour s’en débarrasser comme des boeufs.

— « L’ennemi ne devient jamais ami, le son ne devient jamais farine, » dit alors Ali, quittant son silence. Tu as gardé dans ton cœur, Ould-Adda, la mémoire du fils qu’ils t’ont tué au jour de la rencontre, et les souvenirs amers entraînent les paroles. Chaque arbre porte son fruit ; la plante qui fleurit près de la fontaine meurt desséchée sur la pente de la colline. La montagne a des rochers, la montagne a des Kabyles. Dans la plaine, tu trouveras le blé, les troupeaux aux riches toisons, et l’Arabe pour l’habiter. Les deux races sont différentes, le son de leur bouche n’est pas le même. Là est la vérité ; mais, dans la plaine comme sur la montagne, le démon a ses serviteurs, et Dieu ses fidèles. Il ne faut mépriser aucun musulman : chacun suit sa voie.

— D’où vient, lui dis-je, que tu ne partages pas le mépris que les tiens leur portent d’ordinaire ?

— J’ai lu en eux, reprit Ali ; sous leurs dehors sauvages, j’ai trouvé le bien. Ma parole peut le dire en ce moment, car je dois la vie au respect que, dans ces tribus, chacun a pour ceux de sa race. J’étais soldat lors de la course du bey Osman, et j’ai vu le désastre. Vous tous, dit-on dans la ville, vous allez entrer dans leur pays. Si le bras de Dieu dirige vos coups, le succès suivra vos pas ; Dieu seul peut vous le donner. Le Kabyle, quand il défend son village et son champ, c’est la panthère protégeant ses petits : pourquoi aller les chercher ?

— As-tu vu l’huile tomber sur l’étoffe ? lui répondis-je ; la tache gagne, gagne et ne s’arrête qu’à la dernière trame du tissu. Ainsi de nous. Il faut que nous couvrions ce pays ;… puis leurs montagnes sont devenues l’asile des insoumis, les remparts des coupeurs de route. Tous ceux qui nous font du mal sont leurs amis, et nos villages ont été menacés. Nous ne pouvons supporter l’injure. Le cheval qui n’est pas dompté renverse son cavalier. Nous voulons rester les maîtres du pays.

— La vérité est dans ta bouche, dit Ali après un instant de réflexion. Ta pensée est droite ; mais tu trouveras une terre différente de toutes celles que tu as vues jusqu’ici. Les journées suffisent à peine pour descendre les précipices. Le flanc des montagnes est garni de villages bâtis à l’abri du coup de main, et les hommes ont la bravoure dans le cœur, l’œil exercé et un bon fusil. Dans la paix, le jeu des armes est en honneur, et il n’est point de fête, s’ils ne guident leur regard au long du fusil, et celui qui a brisé le plus d’oeufs suspendus à un fil qui leur sert de cible, celui-là est applaudi de tous. Il tient dans son œil la vie de son ennemi, il est bon à la défense de la terre, bon à la protection des siens, car le Kabyle aime la vengeance, il la lègue en héritage, et le sang seul lave l’offense, bien que chez lui la mort ne soit pas dans