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chevelure retenaient encore les feuilles ; des gouttes de sang empourpraient son sein et ses épaules, et la jeune fille ne put que s’élancer haletante vers Saturnino. Au cri qu’il poussa, à la flamme qui brilla dans ses yeux, il était facile de voir que l’amour de la vie revenait envahir le cœur du chasseur comme le flot long-temps repoussé par une digue insurmontable.

— J’arrive à temps ! béni soit Dieu ! put enfin s’écrier Fleur-de-Liane. Saturnino, je voulais ta mort, parce que je t’ai cru infidèle ; maintenant je sais…

Et la jeune fille tira de son sein un bouquet (je le reconnus pour celui que je lui avais jeté en passant) qu’elle pressa contre ses lèvres avec transport. — Saturnino, reprit-elle précipitamment et en prenant le bras du jeune homme, je veux à présent que tu vives ; ce bouquet m’a rendu la vie. Ce blanc floripondio m’a dit que j’étais la plus belle à tes yeux ; ces fleurs rouges des lianes m’ont appris que pour toi la rivale qui les a portées n’est qu’un prétexte à ta présence près de, notre hutte ; ces marjolaines m’ont parlé de tes tourmens. Oui, je sais tout maintenant, ce brin de chintule m’a tout révélé : je sais que tu m’aimes… Mais qu’attends-tu ? Mon père va venir ; espères-tu obtenir son pardon pour avoir aimé sa fille ? N’y compte pas. Dans un moment où je voulais mourir après toi, j’ai dit à mon père que je t’appartenais… que tu t’étais joué de l’honneur de sa fille ; — j’ai menti ; dans un moment de délire, j’ai voulu notre mort à tous deux. Veux-tu fuir maintenant ?

À ce moment, Cristino et Castaños arrivaient dans la clairière ; mais déjà Saturnino, passant du désespoir à une joie fiévreuse, avait entouré de ses bras le corps souple et charmant de Fleur-de-Liane, et l’avait assise sur son cheval, qui venait de partir comme un trait, emportant la jeune fille et le chasseur désarmé. Le gaucho, suivi du capitaine, se lança à leur poursuite.

— Arrêtez, capitaine ! criai-je à Castaiios ; laissez au moins la partie égale.

Le vieux guerrillero s’arrêta en effet à ma voix ; mais il n’en fut pas de même du gaucho. Pour combler la distance qui le séparait encore de l’objet de sa haine, il brandit son lazo, qui s’abattit en tournoyant sur les deux fugitifs. Saturnino, enlacé par le nœud coulant, fit un effort surhumain pour arrêter son cheval, dont les jarrets ployèrent jusqu’à terre, et, au moment où le bras vigoureux du gaucho allait l’arracher à ses arçons, le jeune homme tira son couteau, la seule arme qui lui restât. En un clin d’œil, le lazo fut tranché. Je ne pus retenir un cri de joie. Saturnino volait de nouveau sur la clairière, en traînant Fleur-de-Liane éperdue. Les deux fugitifs n’étaient plus qu’à une courte distance de l’un des sentiers qui s’ouvraient sur l’enceinte