Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du sein de ce vert océan ; on eût dit le bouillonnement de la sève de ces grands arbres que des milliers d’étés avaient fécondée, et dont aucun hiver n’avait arrêté le cours.

J’étais bien dans cette clairière du Palmar habitée par la famille du chasseur Vallejo. J’avais entendu Berrendo affirmer que Saturnino devait être dans sa demeure. Sa hutte était donc dans quelque coin caché du Palmar ; elle devait être sans doute située près de la flaque d’eau. Je m’empressai d’y courir ; mais, pour éviter d’être aperçu du gaucho, au cas où il viendrait à déboucher presque aussitôt que moi dans l’enceinte de palmiers, j’en fis le tour, protégé par l’ombre épaisse qu’ils versaient à leurs pieds. Je n’apercevais rien encore ; toutefois je crus entendre à peu de distance de moi une voix de femme murmurant une de ces mélodies plaintives qu’on entend parfois le soir dans les campagnes, et quelques instans après je vis en effet sur une butaca de cuir et sur le seuil d’un jacal une vieille femme assise, immobile, au clair de la lune. Elle ne me vit pas sans doute, car elle n’interrompit point sa mélancolique chanson : c’était la mère de Saturnino, qui attendait le retour de son fils. Au bruit de mes pas, la vieille femme cessa de chanter, puis elle leva vivement la tête ; mais le désappointement et la frayeur se peignirent sur sa figure quand elle reconnut un étranger à la place de son fils.

— N’ayez pas peur, lui dis-je aussitôt ; vous voyez en moi un homme qui désire préserver Saturnino d’un grand danger.

Virgen santisima ! s’écria la mère, que voulez-vous dire ? Saturnino aurait-il été dévoré par le feu qui rougit le ciel là-bas ?

— Vous connaissez Cristino Vergara ?

À ce nom qu’elle n’avait que trop de raisons sans doute pour n’avoir pas oublié, la vieille femme fit un signe de croix avec une muette épouvante.

— Oui, oui, dit-elle ; il y a long-temps que nous aurions quitté le pays, si la jeunesse savait écouter la voix de la raison.

Je me hâtai d’avertir la mère de Saturnino de la venue prochaine de Cristino.

— Il se fait tard, me répondit-elle, et j’espère que Saturnine ne reviendra pas ce soir. Plaise à Dieu que la flambée intercepte sa route !

Je compris que le fils de Vallejo n’avait pas laissé ignorer à sa mère son amour pour Fleur-de-Liane ; la vieille habitante du Palmar n’en avait pas moins confiance dans la protection du ciel. Elle espérait que Dieu protégerait son fils. Saturnino était d’ailleurs, comme Berrendo, un chasseur de profession, et, s’il n’était pas encore rentré à la cabane, il passait probablement la nuit à la poursuite de quelque gibier.

— En tout cas, repris-je, Satur nino a du cœur, et maintenant qu’il est averti…