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mille plantes grimpantes. Le long du ruisseau s’étendait un inextricable pêle-mêle de lataniers et de cactus : les longues et fortes lianes qui pendaient des rochers s’étaient enroulées autour du tronc d’un palmier que la tempête avait déraciné, et qui était tombé en travers du torrent. Maintenu par les lianes, et ne touchant le sol par aucune de ses extrémités, ce tronc offrait vraiment l’image d’un pont qu’aucune main humaine n’eût osé aussi hardiment suspendre au-dessus de l’abîme. Je restai un moment partagé entre la surprise et l’admiration devant ce frêle chemin tracé au-dessus des eaux par un architecte mystérieux. Je me décidai enfin, et je fis quelques pas sur le pont mouvant ; mais presque aussitôt un choc inattendu imprima au réseau de lianes nue violente oscillation, et je faillis trébucher. En reprenant mon équilibre, je pus remarquer sur la rive opposée un homme qui s’éloignait précipitamment et qui disparut dans le fourré. Un moment j’hésitai à aller en avant ; je me ravisai néanmoins, et je fus bientôt sur l’autre bord. Le hameau de Palos-Mulatos n’était plus qu’à quelques pas de moi, et je me dirigeai vers ses cabanes, d’où venaient déjà jusqu’à mes oreilles de joyeuses et confuses rumeurs.

Le pueblo ne se composait que d’une douzaine de huttes. Quand, arrivé devant la première de ces chétives habitations, je demandai la demeure du gaucho, il me fut aisé de deviner quelque embarras sur la physionomie de ceux que j’interrogeais.

— Vous voulez parler du Chileño ? me répondit enfin une jeune fille occupée à disposer quelques campanules pourpres dans les noires tresses de sa chevelure.

— Oui, je veux parler du Chileño ; c’est Cristino Vergara qu’il se nomme, je crois ?

— Cristino Vergara ! Vous voyez ce latanier à quelques pas d’ici ? La cabane qui s’élève au pied de cet arbre est la sienne.

Je remerciai la jeune fille, et j’allai frapper à la cabane du gaucho. Un vieillard de haute taille vint m’ouvrir ; derrière lui se tenaient une femme déjà courbée par l’âge et deux jeunes filles : j’étais dans la cabane de Cristino Vergara, et j’eus bientôt fait la commission du capitaine don Ruperto.

— Don. Ruperto Castafos est ici ! s’écria vivement le Chilien. Il sera, comme vous, le bienvenu dans notre pauvre cabane.

— Ce n’est pas sans peine, ajoutai-je en riant, que j’y suis arrivé, et je saurai à l’avenir qu’il ne faut jamais traverser à deux un pont de lianes.

— À deux ! reprit le gaucho, dont l’œil étincela et dont la voix prit subitement un accent étrange.

— Oui, quelqu’un était sur le pont suspendu au moment où j’y passais ;