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élémens en sont fournis par les schistes et les granits qui constituent la côte de Bretagne et se prolongent sous la mer, et par les bancs d’huîtres gisant au sein des eaux de la Manche, dont cette abondance de débris révèle l’immensité ; ces matières, incessamment entraînées dans les violentes oscillations des marées, se broient et se réduisent promptement en poussière. La composition et la ténuité de la tangue expliquent la nature de l’action qu’elle exerce sur la végétation : elle ameublit et réchauffe le sol. Toute la région qui est à portée des dépôts de tangue est granitique, argileuse ou schisteuse, et le calcaire est l’amendement le plus efficace qui puisse y être introduit.

Il existe une grande variété de modes d’emploi de la tangue : il suffira de dire ici que, suivant la nature du sol et la dépense des transports, l’hectare en revoit de 10 à 25 mètres cubes tous les deux ou tous les quatre ans. L’effet, dit-on dans le pays, en est plus grand à mesure qu’on s’éloigne de la mer ; c’est sans doute que les terres les plus voisines des dépôts sont les plus près de l’état de saturation. La composition du sol, la nature des engrais, l’objet de la culture, le cours des assolemens, les circonstances météorologiques affectent sensiblement les résultats de l’emploi de la tangue, et il serait téméraire de prétendre donner une mesure commune d’effets subordonnés à tant d’influences diverses. Si pourtant il fallait, à l’exemple de statisticiens renommés, exprimer en chiffres précis des valeurs fort indéterminées, je crois qu’on s’éloignerait peu de la vérité en admettant que trois mètres de tangue donnent un surcroît de produit équivalent à un hectolitre de blé, plus six quintaux de fourrage artificiel. A. ce compte, la tonne (1,000 kilog.) de tangue rendrait environ six francs. Je déduis cette conjecture de beaucoup de renseignemens dont je serais, je l’avoue, embarrassé de prouver l’autorité ; rien n’est si difficile à constater exactement que les faits agricoles, et, à défaut de la comptabilité rigoureuse qui n’est point encore entrée dans les habitudes de notre pays, je me contente d’être à peu près d’accord avec la comptabilité instinctive des fermiers normands. L’on porte la quantité de tangue qui s’extrait annuellement de la côte occidentale du département de la Manche à 700,000 tonnes, ce qui correspondrait à un produit en denrées de plus de quatre millions. Cette source de richesse agricole est du petit nombre de celles dont il appartient à l’administration de multiplier le bienfait, puisque la diffusion d’une matière fécondante, qui ne coûte que le transport, dépend de l’état des communications.

Ce serait raccourcir beaucoup le rayon d’emploi de la tangue que de calculer, sur les données ordinaires des frais de transport, les distances de la mer auxquelles il doit s’arrêter. Le pays qu’il embrasse est le plus riche de France en fourrages, en bestiaux, et n’a pas de fermes qui ne disposent pour un travail passager d’un grand nombre de jumens