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Dans le sillon, l’or fin poussera en triple épi, et de la terre en grand défrichée, nous verrons sortir le baume si ardemment cherché, qui seul pourra guérir, dans la France déchirée, chez les grands et les petits, la plaie envenimée de la gloriole et de la pauvreté !… »

L’intérêt d’un poème de ce genre s’efface, s’atténue singulièrement, sans nul doute, dans le passage d’une langue à l’autre. Ce qu’on ne peut rendre, c’est une certaine fleur de vie, c’est le charme des détails où il y a bien plus d’invention que dans l’action même, c’est la variété inépuisable des traits, le piquant de l’observation et la poésie magnifique dans l’original des vers qui viennent clore ce dernier morceau. Il nous suffit de dégager la pensée intime de Ville et Campagne, résumée dans ce rappel de tous les enfans dispersés de la terre au sein de la mère commune, dont les destins sont annoncés dans une langue sibylline, fille de celle de Virgile, et qui rappelle, certes fort à l’insu du poète méridional, les vers de la IVe églogue sur le retour des temps saturniens :

Molli paulatim flavescet campus arista,
Incultisque rubens pendebit sentibus uva.

Un des plus grands secrets peut-être pour la poésie, c’est de ne point s’isoler du mouvement général au sein duquel elle se produit, sans sacrifier néanmoins son indépendance aux passions du moment qui s’agitent, sans se jeter en aventurière dans la mêlée des opinions et des intérêts qui se choquent. Il ne faut point, pendant que le monde souffre, qu’elle se livre à de prétentieux et stériles jeux d’imagination, et il ne faut point qu’elle se fasse l’auxiliaire des partis. Il y a un point, une limite où l’expression de l’immortelle vérité humaine prend dans la poésie un intérêt actuel, saisissant et utile. Jasmin a su trouver cette mesure, où, en restant dans le vrai, dans le domaine des sentimens supérieurs et immuables de l’ame humaine, il entre encore dans le vif aujourd’hui. La Semaine d’un fils, la Charité, le Médecin des Pauvres, les Prophètes menteurs, Ville et Campagne, tous ces morceaux sont de cet ordre, et forment les chants divers d’un même poème vrai, vivant, humain, compatissant, où la plainte est sans fiel, où les douleurs du pauvre, reproduites dans leur vérité poignante, cessent d’être une insulte ou une menace pour devenir un sujet de sympathique méditation, et où le plus pur souffle moral circule dans la plus touchante poésie. L’auteur de ces fragmens, de ce poème, peut assurément faire beaucoup de bien par son aimable et facile popularité, sans cesser de rester un poète, justement en restant un poète. D’ailleurs, lorsqu’on met un grand talent d’artiste au service des partis, le plus clair, c’est qu’on y veut gagner quelque chose ; qu’y gagnerait Jasmin ? Il y perdrait la bonne grace de sa muse, la sérénité charmante de son esprit, l’honnêteté et la dignité de sa vie. Jasmin s’en soucie-t-il ? En cette