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une simultanéité significative, en même temps qu’il répondait de ce ton à un aussi singulier défi, Jasmin adressait des vers pleins de grace à Reboul sur leurs deux muses, — pastourelle et demoiselle qui avaient promis de s’aimer. « A l’une les capitales, — disait-il, — les grandes choses d’aujourd’hui, — les orgues, — les cathédrales - et le grand chemin du roi ; — et pour l’autre la petite église, — les prairies, les petits sentiers, — la cabane, la musette, — et parfois les rossignols. — Et pastourelle et demoiselle - qui ont promis de s’aimer, — à force de cheminer - chacune où le ciel l’appelle, — peut-être pourront arriver dans la glorieuse chapelle - en se tenant par la main… »

Rien ne prouve mieux, à mon avis, ce qu’il y a de vrai et de sain dans le charmant génie du poète méridional que le plein et naturel développement qu’il a pris depuis qu’il s’est dégagé des influences du début, comme un beau fruit du Midi échappé aux premières gelées, qui atteint toute sa maturité et toute sa saveur sous un ciel clément. Son instinct s’est affermi ; son inspiration s’est élevée et a pénétré comme en se jouant dans les détails des mœurs populaires ou dans les secrets de l’ame humaine ; il a fouillé sa langue pour en faire reluire les richesses inconnues. Son imagination s’est étendue sans étouffer le bon sens, ce bon sens que récemment, en empruntant une locution du peuple, il appelait l’aîné de l’esprit, — l’agnat de l’esprit. Cela ne vous fait-il pas souvenir de ce brave républicain qui prétendait qu’il n’y avait plus de saints sous la république ? Il n’y a plus d’aînés, pourrait-on dire avec autant de raison. Hélas ! oui, il n’y a plus d’aînés, et il ne manque point de gens particulièrement intéressés à trouver très réactionnaire le dernier droit d’aînesse resté en honneur dans le peuple ; cela ne doit point décourager Jasmin de poursuivre sa réhabilitation, dût-il passer pour quelque peu féodal et monarchique. On connaît déjà quelques-uns des plus gracieux ouvrages de l’aimable inventeur méridional, Françounetto, Marthe, les Deux Jumeaux, frais et émouvans tableaux de la vie populaire dans sa variété attachante[1]. Depuis la révolution de février même, la Semaine d’un fils est venue se joindre à ces compositions premières et a montré ce que peut produire cette idée de la peinture du travail germant dans une imagination saine. Il y a peu de temps encore, c’était un poème nouveau, Ville et Campagne, petit drame bref, rapide, animé, et qui, dans ses humbles proportions, contient une haute pensée morale et même sociale. Jasmin s’attaque en poète et non en déclamateur de parti à une des plaies contemporaines les plus vives. Qui n’a pu remarquer cette haine croissante de la pauvreté et du labeur obscur, cet abandon des campagnes et du travail de la terre comme d’une œuvre dégradante et méprisée ? La ville ! voilà le

  1. Voyez, sur Jasmin et ses poèmes, les livraisons de la Revue du 1er mai 1837, du 15 janvier 1842, du 1er décembre 1846 et du 1er avril 1849.