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si savamment restaurées par la critique contemporaine, et où figurent avec des couleurs si différentes les scaldes scandinaves, les minnesingers allemands, à côté des troubadours méridionaux et des bardes celtiques.

C’est en effet le trait essentiel de la poésie bretonne d’être profondément nationale par l’inspiration comme par l’idiome ; elle est l’œuvre individuelle de quelques hommes, mais l’ame d’un peuple y respire. Les bardes eux-mêmes, à vrai dire, que sont-ils autre chose que des héros de l’indépendance ayant leur place marquée dans la vie sociale, investis d’une sorte de sacerdoce dans l’esprit public ? Le bardisme a tous les caractères d’une institution consacrée par les mœurs et les lois celtiques. La poésie n’apparaissait pas aux yeux de ces peuples enfans comme une chose artificielle ou légère, comme le jeu prétentieux ou futile d’imaginations vagabondes : c’était une chose religieuse et auguste qui conférait des droits et des privilèges. Le titre bardique affranchissait, d’après le code breton ; la loi évaluait la harpe du chef des bardes cinq fois plus que le bouclier d’or du guerrier ou l’épée la plus belle à poignée d’argent, trente fois autant que la lance, onze fois plus que la charrue. La harpe, comme le livre et l’épée, ne pouvait être saisie par la justice. Les bardes, organisés dans une hiérarchie puissante, avaient pour mission de garder le dépôt des traditions de la famille, de la patrie et des souvenirs nationaux. Ils consacraient dans leurs vers les événemens contemporains, les gloires et les malheurs de leur race. Au jour du combat, pendant que le sang jaillissait et montait jusqu’aux genoux des guerriers, ils chantaient le chant de la Domination bretonne, et, même dans la défaite, ils élevaient encore leurs voix, comme Aneurin célébrant les funérailles des trois cent soixante chefs bretons tués à Kaltraez. L’imagination populaire ne s’y est point trompée ; elle a vu dans les bardes une des personnifications des luttes anciennes, elle leur a fait leur place dans les traditions nationales, et s’est plu souvent à mêler les couleurs fabuleuses et la légende à ce qui restait d’eux. M. de La Villemarqué a consacré, tant aux institutions bardiques qu’aux bardes eux-mêmes, des pages où l’on sent l’amour des choses bretonnes. — Voyez ce que l’imagination populaire a fait de Taliesin, un des plus remarquables de ces poètes du VIe siècle. Un enfant est livré à la mer dans un berceau d’osier enveloppé de cuir, et les flots le poussent dans une pêcherie d’Elsin, fils d’Urien. Le berceau est recueilli, et celui qui le découvre s’écrie en voyant l’enfant : Tal-iesin ! — en langue celtique : quel front rayonnant ! Telle est l’origine du nom resté au barde du fils d’Urien. « Je suis le chef des bardes d’Elsin, fait dire la légende à Taliesin, et ma terre natale est le pays des étoiles de l’été ; je suis un être merveilleux dont l’origine est inconnue ; je suis capable d’instruire l’univers. » En réalité,